S'il te plaît, en voilà un autre !!
- Alessandro, arrête de courir partout ! supplia Elise en courant après le petit garçon qui traversait les couloirs avec, pour seul vêtement, une couche-culotte.
Demetrio, qui attendait son fils au bout du couloir, le cueillit alors qu’il voulait aller vers les escaliers, et le ramena à la mère, qui le prit dans ses bras.
- Tu arrêtes de courir partout quand je te dis de ne plus bouger ! gronda-t-elle.
L’enfant le regarda avec des yeux larmoyants, et Elise se sentit fondre. Ce petit ressemblait tellement à Demetrio et Antonio qu’elle lui céderait n’importe quoi. Mais décidée à ne pas lui éviter la punition, cette fois, elle finit de l’habiller et le mit au coin.
Alessandro avait presque cinq ans, et n’aimait pas le vieux coin poussiéreux de sa chambre dans lequel il était souvent puni. Résolu à ne pas y rester, il échappa à sa mère et sauta sur son lit pour se rouler en boule sous les couvertures. Elise soupira, et entreprit de l’extirper des draps, mais il s’attacha résolument au matelas de manière à ce que sa mère ne puisse pas l’attraper.
- Qu’est-ce que tu fais ? s’étonna une petite fille qui venait d’entrer.
- J’essaie… de sortir… Alessandro de là-dessous ! répondit-elle en haletant sous l’effort que nécessitait son bambin.
- Attends, dit la petite fille. J’ai un moyen !
Elle s’approcha du lit, toucha la bosse formée par les draps, repéra la tête du petit garçon, et se mit à le chatouiller férocement. Au bout de cinq secondes, Alessandro cria grâce et se réfugia dans les bras de sa mère qui, malgré son amusement, le remit au coin.
- Merci, Christelle, dit-elle à la petite fille rousse flamboyante. C’était gentil de ta part.
- De rien, madame Elise. Je suis contente d’avoir pu t’aider !
La fillette de quatre ans sortit, sans doute à la recherche d’autres enfants à traumatiser avec son arme absolue. Alessandro bougonna tout le reste de la matinée, et n’adressa plus la parole à Christelle, même quand celle-ci, tentant de s’excuser, lui offrit son goûter du matin, lui apportant à son endroit de punition.
- T’es plus ma copine, maugréa-t-il.
La fillette sembla très peinée, car elle alla pleurer dans les bras de sa mère, qui, inquiète, lui demanda ce qui n’allait pas.
- C’est… Ale… Alessandro qui… qui est… plus mon copain ! hoqueta-t-elle.
- C’est rien, murmura Hélène pour l’apaiser. Ce n’est rien. Ne t’en fais pas, ça va passer.
Cela n’eut pour effet que de redoubler ses pleurs, et son père, Merwan, dut intervenir en lui faisant un numéro de jonglage avec des bananes. Christelle se prêta au jeu avec passion et rire, et tendit ses petites mains pour essayer de faire pareil. Merwan lui donna son hochet en plastique avec un clin d’œil, mais la fillette le refusa.
- Je suis plus un bébé ! s’exclama-t-elle. J’ai plus besoin du hochet !
Elle se frotta les yeux et bâilla un grand coup.
- Ah, ça, je te l’avais dit ! Hier soir, tu n’as pas voulu dormir, alors, aujourd’hui, tu es fatiguée ! s’exaspéra Hélène.
- C’est pas vrai ! Je suis pas fatiguée ! cria-t-elle.
Elle sauta des genoux de sa mère, et alla rejoindre ses amis qui jouaient dans le jardin, abandonnant Alessandro à son triste sort.
Antonio entra, un énorme bouquet à la main, et fit signe à la gouvernante et à son mari de se taire. A pas de loup, il rejoignit la porte de sa chambre, prit une grande inspiration, et l’ouvrit en présentant le bouquet.
- Tadaaa ! claironna-t-il à l’intention de sa femme qui rafistolait un pantalon de bébé déchiré au genou.
Isobelle fut surprise, puis émerveillée. Elle posa son ouvrage, et prit le bouquet.
- Que me vaut cet honneur ? s’inquiéta-t-elle.
- Mon amour pour la plus belle des femmes, répondit-il en s’emparant de ses lèvres et en fermant la porte.
Naomie arriva dans la soirée avec un charmant jeune américain du nom de Jack Dawson, qui fut accueilli comme un roi à la table montée par Marie Forestier, devenue cuisinière en chef de la ville. Evidemment, un étranger comme lui ne se rendit pas compte de la chance qu’il eut de pouvoir goûter aux plats de cette française sans avoir à débourser un sou. Tout Mannheim, excepté ceux qui vivaient à l’auberge, se serait battu pour obtenir une bouchée de ces plats que l’on disait divins.
Après l’excellent repas, les mamans durent employer tous leurs efforts pour réussir à maintenir leurs bébés respectifs dans leur berceau, et regagnèrent ensuite l’accueil, transformé en un grand salon convivial au fil des années.
Cécilia était décédée de sa grande fatigue, et Constance avait été contrainte de reprendre les commandes, étant donné qu’Aloysia avait catégoriquement refusé du fait qu’elle vivait, à présent, à Venise. Sophie et Josépha avaient, d’un commun accord, décidé que l’organisation lui revenait, car elles s’estimaient incapables de l’assurer. L’avant-dernière des Weber avait bien essayé de les en dissuader, mais elles avaient été inébranlables à tout ses propos. Constance n’avait même pas imaginé les confier à Eleonore, puisqu’elle savait que son mari, le prince Christopher d’Allemagne, ne voudrait jamais que sa femme se retrouve directrice d’un bâtiment, certes chic et demandé, mais qui restait quand même une auberge. Depuis que la mère Weber n’était plus là, l’auberge avait été entièrement redécorée par tous les hommes, qui, avouons-le, avaient été menacés de devoir partir s’ils ne le faisaient pas. Mine de rien, la menace avait fait son effet, puisqu’en un an, tous les travaux avaient été achevés dans l’auberge, et Constance avait pu admirer un travail sérieux et irréprochable.
Parmi les filles Weber, Josépha avait épousé Lorenzo Da Ponte, à qui elle faisait les yeux doux depuis quelques temps, et Sophie commençait sérieusement à se pencher sur la question. Depuis que sa sœur et complice l’abandonnait régulièrement pour rejoindre son homme, elle regardait passer les garçons sans grand intérêt.