Fiction de Mozart
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NaomieFellucci
Nelly Salieri ♪
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Nelly Salieri ♪

Nelly Salieri ♪
♫ L'Ecrivaine ♫

Chapitre Premier :

Il était tard le soir, et la pluie battait fort contre les carreaux. Les rues de Mannheim étaient grises et désertes. Rares étaient ceux qui osaient s’aventurer sous les cordes de pluie.
Justement. Une ombre, qui était, jusque là, abritée sous un paravent d’une boutique de chapeaux, se détacha du mur de briques rouges, traversa la ruelle, et toqua trois fois contre une porte de bois, surmontée d’une enseigne annonçant « Chez Cécilia & Fridolin », bien que le dernier nom ait été barré sauvagement –sûrement à l’aide d’un couteau-.
La porte s’entrebâilla, laissant apparaître un visage charmant d’une jeune femme dans la vingtaine. Elle jeta un œil à la personne qu’elle avait en face d’elle, et la fit entrer, d’un air un peu agacé.
La nouvelle arrivante se défit de sa cape trempée. Elle était rousse, et avait les cheveux noués en une longue tresse qui lui descendait jusqu’aux hanches. Elle écarta les mèches trempées de ses yeux, et laissa glisser au sol un sac de toile, qui ne devait pas peser bien lourd.
- Bonjour, madame, salua la nouvelle arrivante.
Son interlocutrice, une belle et jeune femme, habillée d’une façon très chic, et coiffée d’un chignon imposant, la dévisagea.
- Bonsoir, répondit-elle. Qui êtes-vous, et que venez-vous faire ici ?
- Je m’appelle Hélène. Hélène Maginot. Je cherche un travail.
La fille de la propriétaire regarda Hélène des pieds à la tête, puis, dans un sourire, se présenta à son tour :
- Enchantée, je suis Aloysia Weber. Ma mère possède cet endroit. C’est elle qui choisira si oui u non vous êtes apte à être notre gouvernante. Votre allemand n’est pas très bon… D’où venez-vous ?
Hélène se renfrogna. Elle espérait ne pas avoir à trop parler d’elle : c’était raté.
- France. J’suis française.
- Je ne parle pas le français, désolée, dit l’autre, qui ne semblait pas sincère le moins du monde.
La poignée d’une vieille porte qu’Hélène avait à peine remarqué tourna, et une femme d’un certain âge apparu, un bloc-notes dans la main.
- Bonsoir, bonsoir, dit Cécilia qui vint s’assoir sur une des chaises installées en cercle autour d’une petite table. Vous êtes Hélène Maginot ?
- Euh… Oui, madame. Bonjour, madame.
- Asseyez-vous, intima-t-elle. Aloysia, vas voir ailleurs si j’y suis.
Aloysia fit une grimace et sortit. Hélène retint un rire nerveux, mais Cécilia lui ôta de quelques mots toute envie d’être heureuse.
- Je vous prends à l’essai pendant une semaine. S’il se passe quoi que ce soit qui me déplaît, je vous mets à la porte. Jusqu’à présent, je n’en ai gardé aucune. Soyez à la hauteur. Votre chambre est la première à droite, au premier étage. Vous avez une heure pour vous installer, ensuite, je vous montrerais les repères principaux que vous avez à avoir. Je vais vous présenter mes filles, aussi, mais tout à l’heure. Qu’est-ce que vous faites encore là ?
Hélène, qui était restée assise sous le flot de parole de la propriétaire, se leva, comme électrocutée. Elle prit son sac et monta les premières marches, avant de trébucher, de se rattraper de justesse, et de se ressaisir. Elle arriva au premier étage, et entra dans sa chambre. L’odeur de renfermé lui fit aussitôt froncer le nez. La gouvernante précédente n’avait sans doute pas eu le temps de faire le ménage. La rouquine retourna des manches, et se mit au travail. Elle trouva à peine de quoi habiller son lit, et se jura d’investir dans un minimum de décoration dès qu’elle aurait reçu son premier salaire –en espérant qu’elle en reçoive un un jour-, puis elle acheva son installation. Elle eut à peine le temps de s’assoir que quelqu’un tapa à sa porte.
- Oui ?
La porte s’ouvrit –en grinçant-, et une jeune femme aussi brune que celle qu’Hélène avait rencontrée plus tôt entra.
- Je m’appelle Constance. Maman m’a dit de venir te chercher. Elle t’attend en bas
Elle allait faire demi-tour, mais elle se ravisa, puis ajouta :
- Tu es bien la nouvelle gouvernante ?
Hélène acquiesça en se levant, faisant ainsi comprendre à Constance qu’elle allait sortir. Celle-ci se poussa, puis partit devant, dans les escaliers.
Constance était une jeune femme très chic, mais qui semblait tout de même plus jeune que la dénommée Aloysia. Elle semblait aussi moins gracieuse. « Peut-être est-ce parce qu’elle est en train d’en baver pour descendre les escaliers avec ses talons », pensa Hélène en la suivant.
Elles entrèrent dans le salon qui servait d’accueil, visiblement, pour l’auberge, et où Cécilia était assise dans le même fauteuil, comme si elle n’en avait pas bougé. A côté d’elle était assise Aloysia, et une autre jeune femme qui lui ressemblait.
- Ah ! Vous voilà enfin ! s’exclama Cécilia en se levant. Bien, je vous présente donc… Aloysia (elle montra celle qui l’avait accueillie le matin), Constance, et (elle montra la dernière) Sophie. A l’étage, vous risquez de trouver Josépha, qui brode, il me semble. Venez par ici, je vais vous expliquer le fonctionnement de cette auberge.

* * *

Le soir, après avoir tenté de mémoriser les noms des gens séjournant actuellement dans l’auberge où elle avait trouvé emploi, Hélène s’endormit en posant la tête sur l’oreiller.
Parallèlement, à l’étage du dessus, Aloysia Weber, lovée dans ses draps, regardait la lune, de sa fenêtre. Elle pensait à son futur mari, avec regret. Pensive, elle souffla sur sa bougie, et s’allongea.
Constance, elle, achevait une énième lettre, qu’elle froissa, pour qu’elle aille rejoindre les autres boulettes de papier, au pied de sa corbeille à détritus. Elle essayait de trouver les mots qui pourraient expliquer à cet homme si… Charmant, envoûteur, énigmatique… Cette attirance. Mais après tout, elle se posait beaucoup de questions. Déjà, elle ne savait pas où il était. Depuis cette journée, chez la princesse d’Orange, depuis cette lettre mystérieuse de son père, elle ne l’avait plus jamais revu. Il avait disparu de la circulation. Elle ne s’était jamais éprise d’un autre homme que lui. Pourtant, lui, avait préféré Aloysia. Mais maintenant que celle-ci était fiancée, et qu’elle aurait pu avoir sa chance… Il avait complètement disparu.
De rage, elle froissa la dernière feuille de parchemin qu’il lui restait, puis elle la lança à travers la pièce. Les larmes lui vinrent aux yeux, mais elle les chassa d’un geste rageur. Exténuée, elle se changea, puis se coucha. Elle ne ferma pas l’œil de la nuit, et, le lendemain, elle se leva avec une mine affreuse. Déterminée à faire quelque chose d’utile de sa journée, elle s’employa à préparer un petit-déjeuner, bien qu’elle s’endorme quelque peu en découpant le pain ou en faisant chauffer le lait. Ce n’est qu’une demi-heure après qu’Hélène la rejoignit.
- Bonjour ! salua celle-ci. Oh ! Vous feriez mieux d’aller vous recoucher, mademoiselle Constance.
Elle fit « non » de la tête, et mit plus d’ardeur pour faire des tranches de pain droites. Quelques minutes plus tard, un client entra, les lèvres pincées. Quand il vit la jeune Weber, il changea d’attitude.
- Bonjour, mademoiselle Weber ! Vous êtes bien charmante, ce matin !
Hélène le regarda bizarrement. « C’est charmant, un zombie ? » s’étonna-t-elle.
Constance dut avoir à peu près la même pensée, à en juger la tête qu’elle fit. Elle leva les yeux au ciel, puis laissa tomber le couteau de pain, en faisant signe à la gouvernante de s’en occuper. Celle-ci se précipita pour la remplacer, tandis que Constance se levait pour aller se laver. En chemin, elle croisa Aloysia, qui tripotait nerveusement une bague entre ses doigts, accoudée à la fenêtre du couloir. On entendait le chant des oiseaux.
- Qu’est-ce qu’il y a ? interrogea Constance, en passant.
- Je me pose des questions.
- Ah. C’est grave ?
- Oui.
- Tant mieux.
Et la plus jeune passa son chemin. Aloysia lui jeta un œil noir, puis se dirigea vers la cuisine, où le client s’endormait à moitié sur la table, et où Hélène servait le lait chaud dans diverses tasses. La jeune Weber s’assit, et se servit une tartine de confiture. Sans dire un mot, elle se mit à manger. Hélène, qui l’observait depuis qu’elle était entrée, se remit au travail. Elle regarda tour à tour le client qui faisait de l’apnée sous son café au lait et l’autre qui semblait perdue dans ses pensées, puis leva les yeux au ciel. Elle avait compris. La communication, à Mannheim, ce n’était pas leur fort.
Cécilia entra comme un boulet de canon, faisant sursauter tout le monde.
- Aloysia ! C’est toi à l’accueil, aujourd’hui ! Il y a une femme qui attend ! Qu’est-ce-que-tu-fais-encore-là ?!
La ravissante jeune femme, qui s’étouffait à présent avec sa tartine, avala une grande gorgée de café.
- Maman ! cria-t-elle quand elle eut retrouvé l’usage de sa voix. Je t’ai déjà dit de pas faire des irruptions comme ça ! C’est pas bon pour le cœur !
- Oui, et les clients qui attendent, c’est pas bon pour le porte-monnaie !
Aloysia souffla bruyamment, pour montrer son mécontentement, puis elle se leva, en faisant racler sa chaise contre le carrelage, ce qui fit grimacer Hélène.
Aloysia se leva, épousseta sa robe des miettes de pain, et rejoignit l’accueil. En effet, une femme, qui devait être à peine majeure, un peu bronzée, et habillée d’un pantalon un peu ocre, ce qui n’était pas commun pour une femme. Elle transportait un lourd sac, et semblait harassée de fatigue.
La cantatrice salua la cliente, qui lui répondit chaleureusement. Elle avait un accent très marqué, mais la jeune Weber n’aurait pas su d’où il provenait.
- Vous voulez…
- … Réserver, oui, s’il vous plaît. Je compte rester … Une ou deux semaines. L’Allemagne est pleins de bons sites à visiter, non ?
- Je n’en sais rien, répondit Aloysia. Je ne vais jamais plus loin que l’opéra.
L’américaine arqua un sourcil.
- A quel nom je vous réserve la chambre ? s’enquit la fille de la propriétaire.
- Dewitt. Amber Dewitt.
Aloysia redressa la tête, surprise.
- Pardon ?
La cliente épela son nom, puis se fit remettre la clé de sa chambre, avant de monter, portant avec peine son sac. La porte d’entrée s’ouvrit de nouveau.
- Bonjour tout le monde ! s’exclama la jeune femme qui entra. Ouah ! Aloysia !
La jeune femme au chignon monumental retrouva le sourire lorsqu’elle reconnut la femme qu’elle avait en face d’elle.
- Eleonore ?! Tu es rentrée ?
- Si je suis là, c’est que oui, non ? rit l’autre, qui avait les mêmes cheveux qu’Aloysia, mais pas attachés. Et vous savez ce que j’ai retrouvé, sur le chemin du retour ?
Ameutée par le cri poussé par Eleonore Weber, toutes ses sœurs avaient rappliquées, ravies de la retrouver après de si longs mois.
- C’est quoi, que tu as ramené ? s’intéressa Aloysia, qui avait du mal à se retenir de se jeter dans les bras de sa sœur.
- Elise Wagner ! Vous vous souvenez ?
Surgit alors de derrière la porte une femme dans la même tranche d’âge que toutes les autres. Elle ne leur ressemblait pas, elle était plus petite, mais on sentait en elle la même maturité que dans toutes les autres.
- Ca alors ! s’exclama Josépha. Elise !
En fait, Elise était leur amie d’enfance. Les Weber et les Wagner avaient toujours été très proches, mais la séparation entre les deux familles avait été due à une histoire d’enfant Weber qui aurait été le fils d’un Wagner. Depuis ce jour, la tension était à son comble entre les deux.
- Et ouais, confirma Eleonore en fermant la porte. Bon, alors, les filles, quoi de neuf, ici ?
- Et bien… commença Sophie.
- Aloysia se marie, compléta Constance.
- J’ai été engagée à l’opéra, aussi, dit Aloysia, d’un ton cassant (elle n’aimait pas trop quand on faisait allusion à son futur fiancé)
- Je m’absente deux mois, et vous me pondez un mariage ?
Elles se mirent toute à rire, puis Aloysia demanda à Elise :
- Tu restes parmi nous quelques temps ? Tant qu’on a de la place ?
- Pourquoi pas, répondit-elle, souriante. Ca sera l’occasion de rattraper ce qu’on a manqué pendant ces années.
Elles acquiescèrent, puis Aloysia retourna derrière son bloc-notes pour noter le nom d’Elise Wagner. Celle-ci tordait ses cheveux pour les nouer en un chignon original (enfin… très spécial dans la mesure où cela ressemblait à une cascade de cheveux), et Hélène entra.
- Euh… Mademoiselle Aloysia ?
Celle-ci redressa la tête et émit un claquement de langue.
- Quoi ? dit-elle, d’un ton désagréable.
- Votre… (Hélène hésita devant le regard glacial d’Aloysia) mère vous demande… Dans la cuisine.
- Occupes-toi des clients, alors, ronchonna-t-elle avant de sortir en traînant les pieds.
Hélène jeta un œil affolé autour d’elle, mais elle ne rencontra le regard de personne. Toutes les filles sortirent, la laissant à sa tâche, bien qu’elle ne sache pas du tout ce qu’elle avait à faire. Deux minutes plus tard, Elise Wagner revint dans la salle, accompagnée d’Eleonore Weber.
- Bonjour, dit Eleonore, comme si elle venait de remarquer Hélène. Tu es la nouvelle …
- Oui, répondit la rousse en tentant, tant bien que mal, de paraître moins crispée.
Eleonore la regarda bizarrement, puis s’assit sur une des chaises. Elise l’imita.
- Alors, Elise, demanda Eleonore en buvant une gorgée de café. Comment ça avance, pour toi ? Toujours à l’opéra ?
- Oui et non, répondit l’autre avec un maigre sourire. Je suppose que tu sais que je n’ai plus accès au théâtre Salieri.
- Ah bon ? s’étonna la jeune Weber. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Le théâtre Salieri était un théâtre connu à Mannheim, qui tombait un peu en ruine, mais les meilleures musiques se retrouvaient forcément là-bas. Il était tenu par la famille Salieri depuis au moins deux siècles, et il n’y avait jamais eu de problèmes.
Elise hésita un peu.
- Le père Salieri est décédé, il y a peut-être un an, et c’est donc sa fille…
- Monsieur Salieri avait une fille ?!
- Oui, une fille adoptive, en fait. Je ne sais pas si tu te souviens, mais, lors de leur voyage en Italie, ils avaient décidés d’adopter cette petite orpheline qui ne connaissait que son nom… Tu te rappelles ?
- Vaguement, oui.
- C’est donc cette femme, Naomi Fellucci, qui a pris la suite, au théâtre.
Eleonore demeura pensive.
- Et, poursuivit Elise, elle a fait… Une sélection, parmi les artistes. Non, en fait, elle a viré tout le monde, puis elle a refait sa sélection. Mais quand elle a annoncé qu’elle engageait, moi, j’étais déjà partie en Autriche.
Personne ne parla. Hélène écoutait attentivement, et essayait de comprendre.
Cette femme, Elise Wagner, était une chanteuse, apparemment. Eleonore était une des sœurs Weber, elle était partie durant quelques mois. Naomi Fellucci était la propriétaire du théâtre Salieri. Hélène supposa qu’Aloysia, qui était aussi une cantatrice, devait travailler là.
- Et toi ? interrogea Elise. Où en es-tu, dans ta vie ?
Eleonore fit la moue.
- Bah, toujours pas mariée, sans travail, et sans le sou. Ce qui explique mon retour ici. Je serais restée chez ma tante, en Pologne, sinon.
Un nouveau silence s’abattit sur la salle. Il fut interrompu par le couinement de la porte d’entrée, qui s’ouvrit.
Sur un homme, cette fois.
Le trio de femme leva la tête en même temps.
Cet homme était Antonio Salieri. C’était le compositeur personnel de l’empereur Joseph II, il travaillait au palais. Personne ne l’avait jamais vraiment vu en dehors de la maison impériale. Il avança de quelques pas, jeta un œil circulaire autour de lui, puis s’avança vers le bar d’accueil. C’est Eleonore qui rompit la tension.
- Eh ! Monsieur ! On ferme la porte, ça fait des courants d’air !
Cette remarque eut le don de rompre le charme dont s’était entouré le musicien. Il ferma la porte, et alla vers Hélène, qui ne relevait plus la tête, comme si elle était tout d’un coup passionnée pour cette liste de personnes qu’elle avait sous les yeux.
- Bonjour, mademoiselle, je voudrais une chambre.
Eleonore, voyant qu’Hélène ne savait pas quoi faire, vola à son secours.
- Pour combien de temps ?
Hélène trempa la plume dans l’encre, et se prépara à écrire, la main tremblante.
La jeune française n’avait jamais eu beaucoup de chance, avec les hommes. Constamment écrasée sous l’image de sa grande sœur, Victoire, qui était quelqu’un qu’on pouvait classer de « femme facile », elle avait acquis une réputation qui n’était pas du tout quelque chose qui lui correspondait. C’était aussi une des raisons qui l’avait poussée à quitter son village, en France.
- Quelques jours. Disons trois. Et plus, si affinités.
En disant ça, il regardait Hélène, qui se sentait rougir jusqu’aux oreilles.
- A quel nom ? demanda la Weber en poussant Hélène pour prendre la plume de ses mains.
- Salieri. Antonio Salieri.
Elise émit un sifflement agacé, et le musicien se tourna vers elle.
- Vous savez que c’est à cause de votre famille que je n’ai plus d’argent ? dit-elle, amère.
L’homme, décontenancé, ne dit rien. Elise détourna le regard, les joues en feu.
- Pourquoi cela ? s’enquit-il finalement.
- Voilà la clé ! renchérit Eleonore en lui fourrant le bout de métal dans la main. Troisième porte à gauche, au deuxième étage. Merci et bonne journée !
Le musicien la dévisagea, regarda Elise qui lui tournait le dos, puis Hélène, qui ne l’avait pas quitté des yeux, et sortit, en direction des escaliers.
- Super, ronchonna Elise. Gagné. Je ne suis vraiment pas douée.
- Ca, c’est sûr, confirma Eleonore en regagnant sa place. Vous, la gouvernante ! i vous voulez rester ici, il va falloir se montrer plus active ! Le prochain client, je ne vous aide pas !
- Euh… Désolée, bredouilla-t-elle. J’ai perdu tous mes moyens…
Les deux femmes échangèrent un sourire complice, et la servante se rendit compte de sa gaffe.
- Je veux dire… Je suis timide de nature, et là, c’était mon premier client, et…
- Oui, oui, nous avons compris ! rit Eleonore. Comme ce n’était pas un laideron, il est normal que…
Hélène se renfrogna, et s’assit négligemment sur son tabouret de bois. Aloysia revint, vêtue comme une princesse.
- A tout à l’heure, tout le monde ! J’ai un concert !
- Bonne chance, lui souhaita Elise. Bon, je vais m’installer, un peu. Il faut payer, pour manger ?
- Bah, pas toi, non. D’ailleurs, le repas ne va pas se faire tout seul… Hélène ? Vous avez prévu quoi, pour midi ?
- Euh… Pardon ? Je ne savais pas que…
- Ah, vous n’êtes pas de corvée repas, aujourd’hui ? Tant mieux pour vous, le lundi, c’est toujours terrible. Je m’en charge. Bon courage, pour le registre !
- Aha. Merci, répondit Hélène, avec un rire sans joie. Je sens qu’il n’y aura pas beaucoup de clients inscrits, aujourd’hui.
- Bien sûr que si. Ils n’ont pas tous le charme de Salieri, vous savez ?
De nouveau, le visage d’Hélène s’assombrit. Elle pensa qu’elle allait manger beaucoup de railleries, durant le temps où le musicien séjournerait ici. Combien de temps, déjà ? Trois jours ? Elle se mit à se ronger les ongles. Alors, elle attrapa un parchemin et une plume, et se mit à écrire fébrilement une lettre pour sa sœur.

* * *

Naomi Fellucci s’assit sur un des fauteuils de sa salle de théâtre. Elle appuya sa tête contre le siège, pour reprendre son souffle. La salle était déserte.
La jeune italienne tripotait nerveusement le nœud qu’elle s’était glissé dans les cheveux. On lui avait annoncé la visite de son frère. Que voulait-il, encore ?
Il devait avoir des problèmes d’argent, auquel cas elle ne pouvait pas l’aider. De toute façon, Antonio ne l’avait jamais visitée pour autre chose que de lui demander un service. Elle croisa les bras sur sa poitrine et souffla négligemment. Quelle plaie, ce frère ! Il n’avait jamais été fichu de lui rendre le moindre service, la moindre faveur ! Il évitait toujours de parler d’elle à quiconque qu’il rencontrait ! Elle était certaine que l’empereur croyait qu’il était fils unique. Quoique… Non, peut-être qu’Antonio avait annoncé l’existence de son jeune frère, Demetrio.
Celui-ci ne donnait plus de nouvelles depuis quelques temps, déjà. Peut-être était-il resté en contact avec Antonio ? Naomi n’en savait rien. On le disait marié et papa. Evidemment, l’italienne n’y croyait pas. A vingt-et-un an, c’était impossible. Enfin… L’espérait-elle. Elle se mit à fredonner un air en se levant. Ce n’était pas un chant d’opéra, c’était… Une mélodie qui lui tournait dans la tête.
- Enveloppée dans son ombre… est-ce le démon où l’ange… Méphisto, Méphisto…
- Et bien, ma chère sœur, on voit que vous n’avez pas perdu votre si jolie voix, dit une voix, près de la porte qui était l’entrée des artistes.
Naomi sursauta, et se retrouva face à Antonio.
- Toujours aussi sur tes gardes, constata-t-il tristement. Personne ne vient te manger, tu sais, Naomi.
- Merci, je sais, dit-elle sèchement. Mais je te rappelle qu’on m’a appris à être prudente. Qu’est-ce que tu veux ?
Il semblait s’être attendu à une réaction de la sorte. Il fit quelques pas sur le plancher de la scène, puis rejoignit sa sœur qui était aussi tendue que la corde d’un arc.
- Ca ne te dirait pas de venir dans l’auberge Weber, plutôt que de rester cloîtrée dans ton théâtre miteux ?
- C’est aussi le tien, Antonio, et non, je suis très bien ici. J’ai du travail, moi.
- Moi aussi.
Elle lui tourna le dos. Il l’agaçait constamment.
La porte des artistes s’ouvrit de nouveau, et la personne passa sa tête dans l’entrebâillement de la porte.
- Je peux entrer ? dit l’homme avec un accent marqué.
- Oui, répondit Naomi.
- Non, fit Antonio.
- Euh… hésita l’homme.
- C’est moi qui décide, ici. Oui, entrez.
Antonio leva les yeux au ciel. Cette sœur avait un caractère de cochon.
L’homme entra. Il avait dans la vingtaine, avait les cheveux châtains-blonds en bataille, et un costume d’apparat rouge bordeaux.
- Je cherche…
- Un emploi, oui, j’avais compris, dit Naomi d’un ton cassant. Venez, nous allons discuter dans mon bureau.
Le jeune homme, qui n’était autre que Wolfgang Mozart, ne bougea pas. Il venant de prendre conscience de la personne qu’il avait en face de lui. C’était une femme, aux cheveux très longs et raides, habillée d’une robe noire, et tenant, dans ses mains recouvertes des gants noirs en satin, un paquet de partitions.
Elle aussi, s’arrêta un moment. L’homme était charmant. Il semblait dans un piteux état. Ses yeux étaient marqués de cernes violettes, et son visage était ravagé par le chagrin. Elle l’entraîna vers sa table. Antonio, amusé, voulut les suivre, mais Naomi lui fut clairement comprendre, par un simple regard, que c’était une mauvaise idée. Irrité, il fit demi-tour. Elle l’agaçait constamment.

* * *

Constance acheva enfin une lettre qui lui sembla bien. Satisfaite, elle la relu, puis la plia soigneusement avant de la remettre soigneusement dans son enveloppe parfumée. Elle allait la glisser dans un tiroir de sa table quand sa mère entra, la faisant sursauter.
- CONSTANCE !! Ca fait une demi-heure que je t’appelle !!
- III ! cria Constance. Ca va pas d’entrer comme ça ?! Tu ne pourrais pas frapper ?!
- C’est toi que je vais frapper si tu ne sors pas de là et que tu ne vas pas faire la lessive !! Mon Dieu, mais qu’est-ce que j’ai fait pour mériter des filles pareilles ?! Allez, on s’active !
Constance fit disparaître la lettre sous un papier, puis sortit, furieuse.
Cécilia sortit en fermant la porte, et disparut de l’autre côté du couloir. Profitant que le couloir soit désert, Sophie, après s’être assurée que personne ne la voyait, entra dans la chambre de Constance. Elle se mit à regarder sous le lit, sous le bureau, sous les oreillers, puis sur le bureau. Elle bougea un peu tout, et trouva ce qu’elle cherchait : la lettre. Avec un cri de victoire, elle la glissa dans sa jarretière, puis sortit en fermant la porte.
Une fois enfermée dans sa chambre, elle entreprit de décacheter l’enveloppe sans trop l’abîmer, mais, tellement pressée de bien faire, elle ne parvint qu’à la déchirer davantage.
- Rho, bougonna-t-elle.
Fait pour fait, elle acheva l’enveloppe, et en sortit le parchemin rosé. En gloussant, elle se plongea dans la lecture.

* * *

Aloysia arriva au théâtre un quart d’heure plus tard. En veillant à ne pas laisser traîner sa robe, elle entra par la porte des artistes. Dès qu’elle entra dans la salle obscure, elle entendit :
- Décidemment, la porte des artistes sert plus que la porte d’entrée. Cherchez l’erreur.
La Weber plissa les yeux pour apercevoir Naomi, assise sur la scène, les jambes pendant dans le vide, l’air mécontent.
- Je … Suis en retard ? demanda la cantatrice.
- Non, Aloysia, vous n’êtes pas en retard. Enlevez-moi un doute… Mon frère, Antonio, il ne séjourne pas chez vous, n’est-ce pas ?
- Non… Je ne pense pas… Je ne sais pas… J’ai croisé une voiture, sur le chemin. S’il venait de l’auberge, c’aurait pu être lui dedans. Il est venu en voiture ?
Aloysia entendit sa patronne jurer dans ses dents, avant de répondre à l’affirmative. La cantatrice se demanda pourquoi cela la dérangeait tant que ça. A ce moment, quelqu’un sortit de l’ombre, et se figea.
- Aloysia ?! s’exclama Wolfgang.
Celle-ci écarquilla les yeux. Mais que faisait-il là ? Et si mal habillé ? Et en si mauvaise compagnie ?
- Ben tiens ! Ne veniez-vous pas de m’assurer que vous ne connaissiez personne ici ?
- Si, mais… Je ne savais pas que les Weber étaient ici ! se défendit le musicien. Aloysia ! Vous m’avez manqué ! A Paris, je n’ai pas arrêté de penser à vous… Tenez, je vous en ai rapporté cette aria !
- Une aria ? s’exclama la cantatrice, dédaigneuse. Mais… Des mois sont passés ! Et depuis, j’ai été engagée à l’opéra !
- A l’opéra ! se réjouit le musicien.
Il s’approcha d’elle, mais elle le repoussa, en cinglant :
- Et je croule sous les meilleures partitions.
Naomi laissa échapper un rire sans joie. Elle jouait avec lui comme un chat avec une souris. Elle espérait que la souris se montrerait plus maline, tout de même.
Aloysia s’écarta et lui tourna le dos.
- Aloysia… gémit Wolfgang. Je suis là, devant vous… Prêt à vous servir… Je veux partager votre vie, je veux vous épouser.
Elle se sentit tout d’un coup mal. Elle ouvrit son éventail et s’éventa le plus qu’elle le put.
- Excusez-moi, monsieur Mozart, mais je suis fiancée. Cela sera malheureu… Euh… Impossible.
- Fiancée ? répéta Wolfgang.
Elle lui montra sa bague. Il sembla perdu. Une cloche sonna au loin.
- Aloysia, c’est l’heure du concert, dit timidement Naomi. Monsieur Mozart, s’il vous plaît… (Elle indiqua la porte du doigt) La sortie est par ici.
La mort dans l’âme, le musicien se dirigea vers la porte. Aloysia sentit son cœur se serrer, mais elle revêtit de nouveau son masque de femme impitoyable, puis grimpa sur la scène, où quelques musiciens commençaient à s’installer. Naomi descendit, décontenancée du manque d’émotion de sa cantatrice.
Les spectateurs commencèrent à arriver, et l’Italienne disparut dans son petit appartement.

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Nelly Salieri ♪

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♫ L'Ecrivaine ♫


Chapitre deuxième :

Lors du repas du midi, Sophie ne put s’empêcher de retenir des gloussements à chaque fois qu’elle regardait Constance, qui, elle, commençait à en avoir marre. Au milieu du repas, après un énième fou rire de sa sœur, elle se leva, manquant de renverser la table, et sortit de la pièce, furieuse.
Amber Dewitt, l’aventurière, discutait avec Cécilia, tandis qu’Hélène piochait maigrement dans son assiette. Comme elle s’y attendait, elle entendit Eleonore, à l’autre bout de la table, lancer :
- Tu penses à ton amoureux, Hélène ?
Celle-ci sursauta. Déjà, parce qu’on lui adressait la parole, mais aussi parce que quelqu’un avait réussi à mettre les mots « amoureux » et « Hélène » dans la même phrase, ce qui n’étais jamais arrivé. Elle sentit le feu lui monter aux joues, et choisit de ne pas répondre.
- Son amoureux ? s’étonna Josépha. Qui ça ?
- Oh, un charmant jeune homme, qui vient d’arriver, rit la Weber en se servant de légumes. N’est-ce pas, Elise, qu’il est charmant ?
Cette dernière vira instantanément au rouge, ce qui fit un joli assortiment avec la sauce tomate qu’elle avait dans l’assiette. Elles étaient maintenant deux, autour de la même table, à avoir le visage pourpre.
- Qu’est-ce que tu racontes, toi ?! s’énerva-t-elle.
Eleonore comprit, et choisit de ne pas aller plus loin. Sophie repartit dans une crise de fou rire. Mais tout le monde se tut quand Antonio entra. Hélène et Elise échangèrent un regard, et manquèrent d’éclater de rire. Elles étaient autant rouge l’une que l’autre !
- C’est bien calme, par ici, constata le musicien.
Seul le silence lui répondit. Tout le monde le regardait d’un air consterné. Antonio arqua les sourcils, puis tira une chaise. Il s’assit entre Josépha et Cécilia. En face d’Elise. Qui avait les joues cramoisies, mais qui se ressaisit. Peu à peu, le sang reflua de ses joues, et elle retrouva une couleur normale. Les conversations renaquirent progressivement, tandis qu’Antonio détaillait toutes les personnes présentes autour de la table. Il se sentait mal à l’aise d’être le seul homme.
Lorsque tout le monde fut repu, ils se levèrent, laissant à Hélène le soin de tout ranger. Celle-ci râla, lorsqu’elle se retrouva toute seule, des mauvais traitements qu’infligeaient les allemands à leurs domestiques.
- Je suis entièrement d’accord avec vous, lui répondit Antonio, qui n’était toujours pas sorti. C’est pour ça que je n’engage pas de domestiques. Je serais trop tenté de tout lui remettre sur les épaules.
Hélène fronça les sourcils. Ah ! Elle était facile, la vie des bourgeois ! Elle se mit à débarrasser la table en empilant les assiettes. Antonio comprit qu’elle essayait de faire le plus de bruit possible pour ne pas engager une conversation. Il se demanda ce qu’il avait fait pour, et s’assit sur une chaise, en attendant qu’elle n’est plus d’assiettes à empiler, puisque, sans, elle ne pouvait pas faire de vacarme.
Elle se retrouva un peu bête quand elle se rendit compte qu’il avait compris. Elle le fixa dans ses yeux marron, et remonta ses manches pour tremper ses mains dans l’eau brûlante.
- Je peux vous aider ? proposa galamment l’homme.
Hélène eut une irrépressible envie de lui répondre « non, vous faites très bien la décoration », mai elle se retint. Alors, sans attendre sa réponse, il se leva, et la rejoignit pour faire la lessive. Le bac étant étroit, elle se sentait mal à l’aise de cette proximité, même si celle-ci ne la dérangeait pas le moins du monde.
Ils n’échangèrent rien d’autre que des regards durant tout le temps que dura la vaisselle, et c’est Hélène qui rompit le pesant silence, lorsque le dernier verre fut essuyé et rangé.
- Merci beaucoup.
Il lui répondit en souriant, la salua d’un baisemain, et quitta la cuisine. Hélène était aux anges. Elle aurait eu envie de crier sa joie mais quand elle vit l’état du sol, elle se ravisa. La vraie vie l’attendait.
En maugréant, elle se remit au travail.

* * *
Un cri déchirant rompit la quiétude de ce début d’après-midi. Une furie habillée en bleu fondit sur sa sœur, qui ne vit rien arriver.
- SOPHIE !!! hurla Constance, folle de rage. MA LETTRE ?! ELLE EST OU MA LETTRE ??!!
Toute l’auberge, dérangée dans sa sieste par la brusque poussée d’adrénaline de Constance, se précipita sur les lieux pour voir ce qui se passait.
- Qu… Quoi ?!
- MA LETTRE !! Je sais, maintenant, pourquoi tu te marrais comme une andouille, à table ! J’exige que tu me la rendes TOUT DE SUITE !!
Sophie, tombée par terre sous le choc, eut un sourire crispé. Elle aurait cru que les yeux de Constance allaient sortir de ses orbites.
- Ca ne va pas, Constance, de crier comme ça ? Tu veux que ta pauvre mère fasse une crise cardiaque ?! s’énerva Cécilia en les rejoignant.
Sophie tendit le parchemin rosé et froissé à sa mère, mais Constance l’attrapa au vol. Si son regard avait pu tuer, Sophie serait morte une bonne douzaine de fois. Dix minutes plus tard, le calme était retombé.
Elise, assoupie dans un des fauteuils de l’accueil, n’entendit pas la personne qui toquait à la porte de l’auberge. Seule Hélène l’avait entendue. Résignée, elle ouvrit, et se trouva nez à nez avec Wolfgang Mozart.
- Euh… Bonjour, dit celui-ci. Je vous dérange ?
- Non, pas du tout… Vous voulez une chambre ?
Il la dévisagea, et elle se sentit de nouveau rougir.
- Vous pensiez que je venais pour quoi ?
- Pour réserver une chambre, reconnut-elle.
Elle le fit entrer, se sentant de plus en plus ridicule. Elle lui demanda pour combien de temps il comptait rester.
- Je ne sais pas.
- Merci, vous êtes gentil, mais j’écris quoi, moi, sur le registre ?
- Indéterminé, je suppose.
La gouvernante jeta un œil dans les noms déjà inscrits, il y avait déjà des endroits où c’était marqué « Indéterminé ». Ses oreilles commençaient à chauffer tellement elle se sentait bête et honteuse de ne pas être plus maline.
- Euh… Oui, je vais faire ça. Euh…
Elle jeta un œil à toutes les clés qu’elle avait sous le comptoir, et elle se demanda comment elle faisait pour savoir laquelle ouvrait une chambre d’une place, et laquelle non. Puis elle se rendit compte que c’était marqué au-dessus.
- Voilà ! dit-elle joyeusement en tendant une clé marquée « 1 ». C’est la chambre 24. Je ne pourrais pas vous dire où c’est, alors je pense que vous allez devoir visiter un peu.
Le musicien la regarda et se mit à rire. Elle le rejoignit, puis il la remercia avant de sortir. La gouvernante s’accouda au comptoir, se mit la tête dans les mains, et murmura pour elle-même :
- Mais quelle empotée ! Je suis vraiment le pire des boulets…
- Bah, tu te débrouilles plutôt bien, puisque les propriétaires ne t’ont rien expliqué, dit Elise, qui s’était réveillée.
- Tu veux dire que… (elle réfléchit vite), elles font exprès ?
Elise hésita.
- Cécilia ne veut pas de gouvernante. Ca coute trop cher.
Des clients entrèrent. Les deux femmes se turent.
La première avança d’un pas résolu vers Hélène, qui prit peur.
- C’est vous, la patronne ?
La femme avait des cheveux courts, un peu en bataille, mais sans pour autant enlever quoi que ce soit à son charme. Elle était sans doute plus vieille qu’Hélène, peut-être un ou deux ans de plus.
- Non, répondit la rouquine. Je suis…
- Puis-je voir la patronne ?
Un doute naquit soudain dans l’esprit d’Hélène. Et si cette femme était là pour devenir la gouvernante des Weber ?
- Euh… Je… J’ignore où elle est, répondit-elle. Je vais la chercher.
- Laisse, dit Elise, je m’en charge.
Elle se leva, et sortit.
- Qui êtes-vous, tenta Hélène.
- Je m’appelle Mariana Leonelli. Je suis là pour l’annonce.

* * *

Après son chant, Aloysia regagna sa demeure à pied. Sur le chemin, elle croisa des hommes qui louchaient sur sa robe avantageuse, mais elle n’en tint pas compte. En fait, elle ne se rendit même pas compte que son futur mari l’avait rejointe.
- Ma tendre, ma belle Aloysia ? Que se passe-t-il ? Tu as l’air contrariée…
- Moi ? Non, pas du tout !
Elle se força à sourire, mais il fronça les sourcils, soucieux.
- Tu me caches quelque chose, mon amour.
Elle fit « non » de la tête, et dit qu’elle rentrait à l’auberge.
- Tu ne veux pas… commença-t-il.
- Non. Je rentre. Seule. A plus tard.
- Même un restaura…
- Non !
Il ouvrit la bouche, hébété, et elle le laissa planter là, au milieu du chemin. Il était riche, beau, mais c’était une vraie sangsue !
Elle pénétra dans l’accueil de l’auberge. Un homme, debout, près de la porte, se tenait droit, les mains dans le dos. Deux femmes, face à face, semblaient passionnées du sujet duquel elles étaient en train de débattre. Hélène, elle, tentait de lire le règlement de l’auberge, en plissant les yeux.
La cantatrice toussota pour attirer l’attention des personnes présentes, et Hélène se retourna vers elle.
- Ah ! Aloysia ! s’exclama-t-elle en la reconnaissant. Votre concert s’est bien passé ?
- Bien, merci.
Voyant que personne d’autre ne s’intéressait à elle, elle quitta la pièce, au moment où Cécilia entrait, avec Elise, d’une autre porte.
- Qui est là pour l’annonce ? s’enquit l’aînée.
- Moi ! répondit Mariana en se levant d’un bond. Garance, pourquoi ne pas vous inscrire sur le registre ?
L’autre femme qui parlait, qui était visiblement Garance, alla s’inscrire auprès d’Hélène, tandis que Cécilia installait Mariana dans un des fauteuils.
- Donc… Qui êtes-vous, d’où venez-vous ?
- Mariana Leonelli, je viens de Rome, en Italie. J’ai déjà travaillé au service de plusieurs familles, notamment la famille Loconte, pour laquelle j’ai travaillé plus de six ans.
Cécilia demeura pensive.
- Très bien, je vous prends à l’essai, comme l’autre, là-bas. Vous partagerez la même chambre, par contre. Arrangez-vous comme vous voulez. Sinon, c’est le prix d’une chambre.
- Moi, ça ne me dérange pas, dit Hélène. Il y a deux couches.
L’italienne dit qu’elle non plus, cela ne la dérangeait pas, et elle monta pour s’installer.
La salle se vida alors un peu. L’homme ne bougea pas, et ne dit toujours rien. Il fixait le sol, comme s’il cherchait à y compter le nombre de grains de poussière. Cécilia et Elise sortirent, il ne resta donc que Garance et Hélène.
- Je vous inscris à quel nom, madame ?
- Mademoiselle, je vous prie, corrigea l’inconnue. Garance, s’il vous plaît. Pour une nuit.
- Très bien. Je vous donne la chambre 26. Tenez.
La cliente prit la clé, et quitta l’accueil. Il ne restait que l’homme –qui ressemblait étrangement à Antonio Salieri- aux cheveux courts, qui fixait le sol.
- Je peux faire quelque chose pour vous, monsieur ? s’enquit la gouvernante.
Celui-ci releva le regard vers elle, et fit « non » de la tête.
- Euh… Vous voulez… Rester là ?
- J’attends un musicien, répondit-il de sa voix jeune et claire.
La rouquine jeta un œil à son registre.
- Mozart ou Salieri ? demanda-t-elle.
- Salieri.
- Je vais vous le chercher.

Elle sortit de la pièce, laissant l’homme seul.
Elle grimpa les escaliers quatre à quatre, et frappa à la porte 24.
- Oui ? dit Wolfgang en ouvrant la porte.
Hélène vira au rouge.
- Oups ! Je me suis trompée ! Je cherchais…
- Ce n’est pas grave, mademoiselle.
- Au revoir !
Et elle partit en courant dans le couloir, en essayant de calmer son cœur. Elle se rendit compte qu’elle ne savait pas du tout dans quelle chambre se trouvait le musicien.
- Mais quelle andouille, vraiment, murmura-t-elle.
- C’est dans les coutumes des français, de s’insulter constamment ? demanda une voix, derrière elle. C’est la deuxième fois dans la même journée, là !
Hélène reconnut Elise, et eut un maigre sourire.
- C’est dans l’habitude des malchanceux de la nature, des moins que rien, qui ne font que se rappeler ce qu’ils sont.
- Tu te sous-estime beaucoup.
La rouquine fit la moue. Si elle était plus maline, elle n’aurait pas besoin de « s’insulter » tout le temps.
- Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda une voix masculine, juste derrière Elise.
- Ah ! s’exclama la servante. Je vous cherchais !
Elise la dévisagea, mais Antonio lui proposa son bras pour qu’elle le guide. Le cœur battant à tout rompre, elle s’y accrocha, comme si sa vie en dépendait, et l’entraîna vers les escaliers.
Elise ouvrit la bouche de stupeur. Elle avait compati avec une femme qui lui prenait un homme sous le nez ? Elle se ressaisi. Dégoûtée, elle entra dans sa chambre, échafaudant un plan d’action.

* * *

Hélène descendit les escaliers le plus lentement possible, appréciant une fois de plus la proximité de cet homme si charmant. Malheureusement, elle perdit son sourire en voyant qu’une autre cliente l’attendait en bas.
- Mais c’est pas vrai ! chuchota-t-elle. C’est tous les jours l’usine, comme ça ?
- Je n’espère pas pour vous ! rit Antonio. Oh !
Il venait de reconnaître le garçon qui attendait, près de la porte.
- Demetrio ! s’exclama-t-il avec un sourire (à fondre, reconnut Hélène).
Le visage du plus jeune s’éclaira pour la première fois. Ils se mirent à parler en italien très, très vite. Hélène fut décontenancée, et échangea un regard de détresse à la femme qui était là. Elle avait les cheveux mi-longs, et des yeux verts perçants. Elle portait, en bandoulière, un sac noir, plein à craquer, et, à la main, une sacoche, visiblement pleine de papier. Vêtue simplement d’une robe en cloche grise et noire, elle semblait amusée de la situation.
- Molto tempo fa Che noi non li vedo ! disait Antonio, à une vitesse fulgurante.
- E’vero ! répondit l’autre. Avete visto Naomi ?
- Si, propriétaire ora…
- Euh… Excusez-moi, messieurs, les interrompit la femme, mais nous aimerions peut-être nous joindre à la conversation…
Antonio se retourna, et ses yeux regardèrent la femme de la tête aux pieds. Hélène sentit une vague de jalousie déferler en elle, quand elle remarqua la lueur d’admiration dans les yeux noisette de l’homme. Elle croisa alors le regard de celui qui portait le nom de Demetrio.
La femme sortit de son sac un éventail noir, et s’éventa quelques coups, faisant voler ses cheveux en arrière, dévoilant un magnifique collier. La servante se sentit écrasée devant le charme de cette femme, qui en jouait. Voyant qu’Antonio était… Envoûté, elle rompit le charme.
- Mademoiselle, vous vous enregistrez ? J’ai des lits à aller préparer.
D’un geste sec, elle ferma son éventail, remis ses cheveux en place, et d’approcha du comptoir. Hélène remarqua que le musicien suivait le roulement des hanches de la femme, ce pourquoi elle ferma les yeux.
- Oui, mademoiselle, je m’enregistre. Isobelle Delacour.
Hélène hésita, croyant avoir mal entendu.
- Isabelle Delacour ?
- Isobelle Delacour. Avec un O comme… Orga…
- J’ai compris, la coupa Hélène, qui sentait encore une fois le feu lui monter aux joues.
Elle lui remit la clé, croyant qu’elle allait partir, mais elle comprit que sa cliente n’en avait pas l’intention.
- Monsieur… Demetrio ? C’est bien ça ? demanda la rouquine.
Le frère d’Antonio confirma d’un signe de tête.
- Vous voulez passer une nuit à l’auberge ?
L’italien, silencieux, mais bien charmant, fit un sourire timide et s’approcha du comptoir.
- Oui, s’il vous plaît. Trois nuits, s’il vous plaît.
- Et vous, Isobelle ? (Elle appuya bien sur le « o »). Vous restez combien de temps ?
- Autant qu’il le faudra ! répondit-elle sans quitter le musicien des yeux.
Hélène eut envie d’écrire « 0 », puisqu’elle l’avait déjà dans la poche, mais elle écrivit « indéterminé ». En espérant que ça ne serait pas trop longtemps.
- D’accord… Bon, et bien… Je vais devoir fermer l’accueil, mademoiselle et messieurs, tenta-t-elle.
- Vous écrivez bien, remarqua le jeune italien. On dirait les vieux manuscrits.
Hélène se demanda si c’était un compliment, puisqu’elle avait souvenir que les vieux manuscrits étaient de vieux bouquins miteux et illisibles. Eleonore entra, l’air occupé, puis s’affaissa dans le canapé, visiblement exténuée.
- Je suis morte ! dit-elle. On a deux gouvernantes, et je travaille comme si on n’en avait aucune !
- C’est parce qu’il y a beaucoup de monde, répondit Hélène, plongée dans la lecture des noms des résidants.
- Possible… répondit la jeune Weber.
- Euh… Mademoiselle ? demanda le jeune Salieri. Je n’ai pas ma clé…
- Oups… Désolée !
Elle lui tendit la clé, et il voulut garder sa main dans la sienne, mais, mal à l’aise, la servante la retira prestement… Evidemment rouge jusqu’aux oreilles. Demetrio, décontenancé, baissa les yeux et rangea la clé dans la poche intérieure sa veste.
- Eleonore ? demanda Hélène. Tu peux guider ce monsieur à sa chambre ?
- Non, la flemme. Débrouille-toi.
Hélène dut tirer une tête bizarre, car Demetrio éclata de rire. Du coup, Isobelle l’imita, mais Antonio était toujours fasciné par cette charmante créature, et il n’avait pas le cœur à rire.
Hélène fit signe au plus jeune des deux hommes de la suivre, ce qu’il s’empressa de faire, ravi. Dans l’escalier, elle croisa Elise, qui écarquilla les yeux, stupéfaite de la voir passer avec une copie miniature d’Antonio.
- C’est quoi, ça ? s’étonna-t-elle.
- Le petit frère.
Celui s’arrêta net, s’inclina devant la jeune Wagner, et lui fit un baisemain. Ce qui était un peu inconfortable, dans l’escalier, mais bon. Elise ne s’en plaignit pas. Hélène leva encore les yeux au ciel. C’était pas trop sa journée.

* * *

Mariana plia son énième drap, et le posa sur la pile, qui commençait à devenir importante. Découragée, elle constata qu’il en restait encore une bonne vingtaine, et elle choisit de redoubler d’effort pour essayer de se débarrasser le plus rapidement possible.
Elle repensa à l’Italie, son pays natal. En venant ici, elle s’était dit que ce qui lui manquerait le plus, ça serait le soleil. Mais c’était faux.
Après six ans passés à leur service, Mariana se rendit compte qu’elle avait toujours ressenti quelque chose pour le fils de la famille qu’elle servait… Pour le petit Mikele. Il était vrai que, en y réfléchissant bien, il était adorable. Toujours au service de ceux qui en avaient besoin, et serviable en toute circonstance. Et … Tellement attirant, par ailleurs.
Elle remarqua qu’elle n’était plus aussi efficace quand elle pensait à lui, c’est pour ça qu’elle chassa cette pensée de son esprit. Mais, sournoise, elle revint, en lui glissant ces quelques mots à l’oreille : Anima Nuvola, Anima Nuvola.
Une mélodie lancinante revint à ses oreilles, celle que chantait son petit Mikele… Qui n’était plus si petit comme ça, à présent. Quel âge avait-il ? Vingt-deux ans ? Vingt-trois ? Elle ne savait plus. Mais elle l’avait connu étant adolescent. Et déjà, elle était tombée sous le charme de ce garçon attirant et plein de talent.
Elle réfléchit plus intensément. Elle avait commencé à servir les Loconte à dix-huit ans. Mikele avait alors seize ans. Si elle était restée six ans, cela voulait dire qu’il en avait vingt-deux. « Soit toujours deux ans de moins que moi », songea-t-elle.
La musique d’Anima Nuvola, âme nuage, la hanta pendant tout le reste de sa corbeille de draps. Elle la chantonnait d’un air évasif lorsque Constance fit irruption dans la salle, faisant sursauter l’italienne, qui revint tout d’un coup sur le sol sur d’Allemagne.
- Ah ! Vous avez fini ! Tant mieux ! Donnez-moi la corbeille, je dois aller faire les nouveaux lits et …
Elle continua son monologue en prenant la corbeille et en sortant de la laverie. Josépha entra à sa suite, constata que quelqu’un était passé avant elle, et quitta la salle illico. L’italienne se défit de son tablier, et se dirigea vers la cuisine pour préparer le dîner. En passant près d’une porte entrouverte, elle entendit une voix masculine dire :
- Chère Elise… Non, c’est trop banal… Mio Dio… (Mon Dieu, en italien ^^), on ne m’avait jamais dit que c’était si étrange, l’amour.
Mariana passa la tête pour voir de qui il s’agissait, elle reconnut le jeune Salieri, Demetrio, la tête dans la main gauche, une plume dans la droite.
- Mia Elise, poursuivit-il en griffonnant quelques mots sur le parchemin.
Il marqua un temps, regarda en l’air, puis se dit à lui-même :
- Pourquoi les mots me viennent-ils en italien, et pas en allemand ? On dirait que je suis fâché avec cette langue…
Et il murmura, les yeux fermés, comme en proie à une transe :
- Sei bellissima e affascinante…
Entendant des pas dans le couloir, Mariana cessa d’écouter les divagations du jeune homme, et se dirigea d’un pas pressé vers les escaliers de bois.
Elle dévala les marches et déboula dans la cuisine où Eleonore mélangeait du chocolat fondu dans une pâte à gâteau odorante, qui avait déjà envahi la cuisine. Le chocolat se mélangea avec la pâte, joignant son parfum sucré à celui déjà présent. Le ventre de Mariana se mit soudain à en réclamer, et elle cacha les lamentations de son ventre par un grand sourire, auquel la jeune Weber répondit, en récurant le plat plein de chocolat à l’aide de sa cuiller.
La jeune et belle italienne dut se retenir d’éclater de rire, quand elle vit qu’Eleonore s’en était mis partout, mais celle-ci avait compris, alors elle tendit la cuillère à sa servante, pour qu’elle partage ce petit plaisir de la vie.
Lorsque le plat fur propre à remettre dans le placard, elles constatèrent que le gâteau semblait bien maigre, à côté de leur ventre bien rempli.
- Bon, moi, c’est réglé, blagua Mariana, je ne mangerais plus de chocolat, j’ai eu ma dose jusqu’à la fin du mois !
- Oui, moi, renchérit Eleonore, je ne pourrais plus avaler quelque chose qui sort d’une fève de cacao !
Repue, elles s’assirent sur les chaises pour tenter de digérer un peu, quand Aloysia entra.
- Qu’est-ce que vous faites ? s’étonna-t-elle en les voyant dans cet état.
- Une indigestion, je crois, railla Eleonore.
Aloysia s’assit, préoccupée.
- Quelque chose ne va pas, sœurette ? s’enquit la plus vieille en tentant de se relever.
- Oui, reconnut-elle. J’ai revu Mozart.
Mariana s’aida de la table pour se remettre debout sans à avoir mal au ventre, et elle se rendit compte du froid et de la tension qui s’étaient installés
Elles demeurèrent pensives.
- Et Constance aussi est amoureuse de lui, continua la Weber. Moi, je n’étais pas là, quand il est arrivé. J’étais chez ma tante, en Pologne. J’ai le chic pour être absente quand il se passe des choses intéressantes, moi.
La porte de la cuisine s’ouvrit sur Isobelle, qui semblait ravie et guillerette. Elle prit une chaise à côté de l’Italienne, et demanda :
- Bonjour tout le monde ! Je vous dérange ?
- Pas du tout, répondit Eleonore. D’où venez-vous, vous ?
- De France. Près d’Orange.
Mariana n’avait jamais été en France. Elle savait que les Loconte y avaient vécus, mais… Non. Elle se fit violence pour ne plus penser à eux. C’était du passé, elle ne les reverrait jamais. Son cœur se serra.
- Francia… dit-elle en murmurant. Bellissima paese, ma modo piccolo…
- Dites-moi, madame, dit Isobelle, vous me semblez bien mélancolique. Quelque chose ne va pas ?
L’italienne expliqua que son meilleur ami lui manquait, et Isobelle révéla qu’elle avait dû laisser son groupe d’amis –et de musiciens- dans le sud de la France, et qu’elle était dans le même cas.
- Vous êtes musicienne ? se réjouit la jeune Weber.
- Chanteuse, plus exactement. Cantante, dit-elle en italien.
- Splendido ! s’exclama l’italienne. Vous chantez de l’opéra ?
- Je suis un peu touche-à-tout, disons.
De nouveau, le silence s’installa, mais Eleonore continuait de fixer Isobelle.
- Vous, par contre, vous semblez loin de la mélancolie. Il se passe quelque chose ?
La française ferma les yeux, comme si elle savourait cette question, qu’elle semblait attendre depuis longtemps, mais elle ne répondit rien. Malgré l’insistance des deux autres, elle ne dévoila pas un mot, puis prétexta avoir des choses à faire avant de se lever et de quitter la table.
Elle monta les escaliers, ralentissant le pas au premier étage, comme si elle attendait que quelqu’un ne se montre. Mais personne n’en fit rien. Elle gagna sa chambre, où elle s’était largement installée. Sur la coiffeuse était déposée sa trousse de toilette. Enfin, non. Sa trousse de toilette et ses deux trousses de maquillage, pour être plus juste. Sur le lit, son sac venait à peine d’être déballé : ses cinq éventails étaient tous étalés près des oreillers, et ses vêtements étaient répartis en piles catégoriques. La sacoche de cuir refermant ses partitions était soigneusement posée sur le rebord de la fenêtre ouverte sur le petit jardin fleuri des Weber. Alors, Isobelle entendit des voix. Curieuse, elle se rapprocha du rebord de la fenêtre, pour voir de qui il s’agissait, et elle fut déçue de découvrir que ce n’était que Sophie et Josépha, qui s’amusaient à se lancer à la figure des seaux pleins d’eaux remplis à la fontaine.
« Dommage », pensa-t-elle, « je n’aurais pas de ragots intéressants, par ici ».
Elle ferma la fenêtre après avoir récupéré sa sacoche, puis se plongea à la recherche de distraction dans sa valise. Quelqu’un toussota pour attirer son attention, et les yeux de la jeune femme rencontrèrent des chaussures noires bien cirées, à moins d’un mètre d’elle. Lentement, elle monta le regard vers le visage de l’homme. Antonio Salieri.
Elle fut d’abord contente de le voir, puis elle se rendit compte qu’elle était accroupie à côté de son sac, donc pas forcément dans la position la plus avantageuse pour elle. Elle se redressa, en priant pour que ses genoux n’aient pas la mauvaise idée de craquer à ce moment-là, et arriva enfin à la hauteur du visage du compositeur. Celui-ci ne laissait transparaître aucune émotion, aucune pensée qui pourrait lui traverser l’esprit. Il semblait… Fermé. Clos comme une huître.
- Bonjour, monsieur Salieri, dit-elle. Vous avez besoin de quelque chose ?
- Pas quelque chose, non, juste prendre l’air. Vous m’accompagnez ?
Le cerveau de la jeune française tourna à cent à l’heure, et son cœur fit un saut périlleux dans sa poitrine. Il l’invitait, donc, elle l’intéressait. Mais il se montrait froid, et peu aguicheur. Elle n’avait jamais eu affaire à ce genre de situation. En France, les hommes avaient plutôt tendance à l’inviter dans une chambre, plutôt qu’à l’en sortir.
- Bien entendu.
Elle prit son éventail noir, et saisit le bras que lui tendait le compositeur. Après tout, il pouvait s’agir d’une simple sortie. Amicale. Rien que ce mot là ne plaisait pas à la jeune française.
Ils sortirent dans le doux après-midi. Isobelle frissonna. Plus habituée aux après-midi chauds que doux, elle avait pensé à l’éventail, mais pas au gilet. Elle se sentit bête. Elle allait mourir de froid pour son vrai premier rendez-vous galant. Qui n’en était peut-être même pas un.
Voyant qu’elle avait froid, Antonio passa son bras autour de ses épaules, et l’attira un peu contre lui. Il se sentait mal à l’aise, pour la seule et bonne raison qu’il n’avait jamais approché une femme de cette façon dans ce contexte. Ils attendirent ainsi peut-être deux ou trois minutes, qui parurent interminables à la jeune femme.
Enfin, une calèche, menée par deux chevaux, s’arrêta pile devant eux, en crissant sur les dalles grises de la ruelle. Galamment, Antonio ouvrit la porte et offrit sa main à sa jeune compagne pour lui permettre de monter plus facilement. Se prenant au jeu, Isobelle se sentait reine, accompagnée de son valet.
Celui-ci monta à sa suite, et s’assit sur la banquette de velours rouge. Croyant bien faire, la jeune femme tendit la main au jeune homme, qui ne sut pas trop quoi en faire. Il la prit maladroitement, déposa un baiser dessus et la reposa. Un peu brusquement. Tous les deux détournèrent les yeux, regardant chacun dans leur petit hublot les rues et les gens défiler. Un silence pesant s’installa.
Isobelle se sentait mal. A présent, elle avait trop chaud. Elle s’éventa, mais elle se rendit vite compte que la chaleur venait du sang qui affluait à ses joues, qui lui donnait ainsi un teint cramoisi.
Antonio, lui, se traitait mentalement de tous les noms. Il n’avait jamais été fichu de séduire une femme. Et voilà qu’il en invitait une pour une promenade. Pas n’importe laquelle, en plus. Une des plus belle qu’il avait rencontré jusqu’à aujourd’hui. Peut-être la plus belle.
Il lui jeta un œil. Elle regardait l’extérieur, semblait malheureuse. Le musicien s’en voulut de lui faire subir ça. Il continua à s’insulter mentalement de tout ce qui lui passait par la tête.

* * *

De son côté, Demetrio semblait avoir abandonné son idée de lettre. Il faisait le cent pas dans sa chambre, réfléchissant à un moyen de se retrouver avec cette femme, en évitant le maximum de passer pour un crétin, comme il l’avait si souvent fait. Pour cela, il pouvait toujours se servir de l’italien. Par expérience, il savait que l’italien plaisait aux femmes. Il pouvait dire n’importe quoi, même la plus horrible des choses, parler italien, ou français, était toujours un atout majeur.
Il fit un nouveau tour de sa chambre, cherchant désespérément une idée… Il s’arrêta près des carreaux, de la fenêtre, et il trouva soudain ce qu’il cherchait.
Animé d’une nouvelle énergie, il se précipita dehors, manquant de renverser Constance au passage, dévala les marches deux à deux, traversa le hall, et manqua de se faire renverser sous les sabots de deux chevaux qui guidaient une voiture de luxe.
Sans prendre le temps de s’excuser auprès des passants qu’il bousculait, il leur déversait son sourire heureux et béat, tandis que, dans sa tête, deux mots faisaient un effet boomerang : « Elise Wagner, Elise Wagner ». Il passa devant un bijoutier, jeta un œil rapide à la vitrine, mais son regard fut vite attiré ailleurs. Il avait trouvé ce qu’il cherchait. Lentement, il traversa la route, en entra dans la boutique.

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Nelly Salieri ♪

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♫ L'Ecrivaine ♫


Chapitre troisième :

Wolfgang Mozart acheva enfin sa lettre pour sa sœur, pleurant son amour déçu et impossible. La lettre était bien humide. Il écrivit l’adresse, puis se laissa tomber sur son matelas, les mains derrière la tête pour faire une sorte de coussin, le regard perdu dans la peinture blanche écaillée du plafond. Décidemment, il n’avait de la chance avec les femmes qu’avec les… Comment appelait-t-on ça, en Allemagne ? Les femmes de plaisir ? Ou quelque chose d’avoisinant.
Une chose était certaine : il devait chasser Aloysia de son esprit. Ses espoirs de mariage avec elle avaient fondus comme neige au soleil.
Les larmes coulèrent de nouveau le long des joues, et il ne les essuya pas. Personne n’était là pour le voir, de toute façon. Enfin… Le croyait-il.
Quelqu’un toqua à sa porte. Il se redressa en sursaut, et essuya l’eau salée du revers de sa manche.
- Oui ? dit-il d’une voix qu’il voulait la moins larmoyante possible.
La porte s’entrebâilla timidement, et quelqu’un demanda :
- Je peux entrer ?
- Euh… Oui, bien entendu, répondit le musicien, qui se leva de sa couchette. Je vous en prie, entrez.
Garance entra. Elle avait noué ses cheveux bruns et bouclés tant bien que mal en une sorte de queue de cheval un peu difforme, mais, au moins, elle n’avait pas les cheveux sur ses yeux marron.
- Holà ! salua-t-elle. Tout va bien ?
Le musicien dévisagea la jeune femme. Il ignorait complètement qui elle était. Il ne savait pas ce qu’elle lui voulait. Mais elle l’hypnotisait.
- Euh… Qui êtes-vous ?
- Oh ! Pardon ! J’ai oublié de me présenter. Je suis Garance. Simplement Garance.
- Vous êtes espagnole ?
- Si ! répondit-elle machinalement. Euh… Je voulais dire, oui.
Wolfgang sourit.
- J’avais compris, dit-il.
- Je n’en doute pas. J’ai cru entendre des pleurs, en passant, tout à l’heure. Etait-ce l’effet de mon imagination ?
Le jeune homme s’en mordit les joues, mais cela n’eut pour effet que de raviver des larmes. Garance le prit en pitié, et vint s’assoir à côté de lui, pour le prendre et le bercer dans ses bras, en chuchotant des mots apaisants à son oreille, en espagnol, dans un murmure presque inaudible :
- Silencioso… Olvida tu amor… Descanse… No es nada. Ya no existe. Ya no sufre. Es sobre. Silencio… Apagar la pena…
Elle lui caressa les cheveux pour calmer son chagrin revenu, en continuant de lui murmurer des mots espagnols à l’oreille. Il releva enfin son visage trempé de larme, et alla chercher un baiser sur ses lèvres.

* * *

La calèche s’arrêta enfin. Isobelle était tellement restée collée à sa petite vitre qu’elle était maintenant entièrement embuée, ce qui fit qu’elle ne put voir où elle était. En bon gentleman, Antonio descendit en premier et alla lui ouvrir la porte. De nouveau, la jeune femme pria de toutes ses forces pour ne pas que le destin lui joue des tours, comme par exemple, la faire trébucher sur sa robe.
Même si le destin avait voulu s’amuser à lui faire une farce, Antonio l’aurait devancé, puisqu’il attrapa la jeune femme par la taille, la souleva, et la déposa au sol, juste à côté de lui.
Lui s’estimait heureux de ne pas avoir fait de malaise dans le véhicule, comme cela lui était souvent arrivé.
Elle s’accrocha à son bras, bien curieuse de voir où ils allaient, mais, visiblement, Antonio n’avait pas prévu de destination précise. Ils étaient dans un parc. Joli, certes, mais Isobelle ne comprenait pas. Pourquoi un parc ? Elle regarda s’il allait lui dire que c’était une blague, ou qu’il s’était trompé d’adresse, mais il n’en fit rien.
Il l’entraîna sur un des chemins pavés, lui tenant la main dans son bras, cherchant désespérément quelque chose qui pourrait le sortir de cette situation maladroite. Il avisa un banc, et se demanda s’il pourrait s’en sortir avec. Non, certainement pas.
- Moi Dio, jura-t-il dans sa barbe.
- Pardon ?
Il hésita, puis entrevit la seule solution pour s’en sortir.
- Je ne savais pas que c’était si dur que ça, un rendez-vous, confia-t-il. Je m’attendais à ce que tout soit tellement plus simple… Mais vous n’êtes pas simple.
- Vous non plus, ajouta-t-elle. Nous avons aussi peu d’expérience dans le sujet l’un que l’autre.
- En effet, c’était une opération vouée au désastre.
Ils se regardèrent d’un œil complice et, d’un commun accord, s’assirent sur le banc le plus proche.
- Je n’ai jamais eu d’homme, à proprement parler, dans ma vie. Ma mère me disait que j’étais trop exigeante.
- Moi, on m’a dit que je faisais fuir les femmes, parce que je ne sais pas m’y prendre, et que je suis trop renfermé.
- Oui, mais là, vous venez de vous ouvrir.
- C’est pour ça qu’on arrive à communiquer, d’ailleurs.
Il passa un bras autour de ses épaules, mais, cette fois, pas pour la réchauffer. Ils regardèrent deux oiseaux qui picoraient le pain d’une vieille dame, puis Antonio proposa :
- Bon… On rentre ?
Et ils prirent la calèche pour le chemin du retour, qu’ils passèrent main dans la main, yeux dans les yeux et sourires aux lèvres.

* * *

- Tu plaisantes ?! s’alarma Constance. Il t’a demandée en mariage ?!
Une fois de plus, elle était furieuse. Elle se dit qu’elle n’avait décidemment jamais de chance, avec les hommes qu’elle aimait vraiment. Mais lui, c’était différent, elle l’admirait… Elle avait une passion pour lui, ça ne pouvait pas s’éteindre comme ça ! De nouveau, la jalousie s’empara d’elle. Il insistait, pour Aloysia. Si seulement elle pouvait être à la place de cette petite… Elle se retint, mais elle était hors d’elle.
- Non, je ne plaisante pas. Il m’a demandée en mariage, répéta-t-elle en se délectant de la jalousie de sa sœur.
Sa jeune sœur réfléchit à toute vitesse.
- De toute façon, cracha-t-elle, tu es déjà mariée.
Aloysia referma son éventail d’un geste sec, et leva ses yeux pleins de malice avec elle.
- Oh, mais ça, ça peut toujours s’arranger.
Constance gronda. Elle détestait sa sœur. Elle avait vraiment envie de lui envoyer le plat de gratin de chou-fleur sur son chignon trop parfait, sur son visage tout lisse de poupée, sur sa robe parfaite et sur-mesure. Retenant sa pulsion meurtrière, elle posa le plat et monta dans sa chambre. Elle aussi, pouvait paraître belle, si elle le voulait. Décidée à se changer les idées, et à calmer sa jalousie, elle ouvrit sa penderie, et commença à sortir ses plus belles robes. Elle chercha ensuite sa brosse à cheveux, et s’empressa de réunir tout son maquillage.

* * *

Elise, après avoir fait un tour en solitaire dans la ville, rentra à l’auberge, pensant trouver un peu de réconfort dans un bon livre. Elle ouvrit la porte de sa chambre, et trouva une couronne de fleurs, sur son lit, accompagnée d’un petit message. Le cœur battant, elle se précipita dessus, et remarqua qu’il n’y avait rien écrit sur le papier. Déçue, elle s’assit sur les draps, et se coiffa des fleurs bleues. En se regardant dans le miroir au-dessus de sa coiffeuse, elle remarqua qu’elles étaient assorties à ses boucles d’oreilles. Seul quelqu’un l’ayant longuement regardée aurait pu les remarquer. Elle sourit de sa naïveté. Bien sûr que non, c’était le hasard.
Elle sortit dans le couloir, et trouva une rose rouge suspendue à un chandelier consumé. Pareil, là, un bout de papier pendait de la tige. Amusée, elle s’avança, et, cette fois, put lire quelque chose.
- Per i Mia bellissima…
« Finalement, c’est mieux qu’un bon livre », pensa-t-elle avec amusement. La chasse aux fleurs, voilà un jeu distrayant !
Elle hésita entre la gauche et la droite du couloir. Elle décida d’aller jeter un coup d’œil à droite, vers les autres chambres, mais elle ne vit rien. Alors, elle partit vers la gauche, dans les escaliers.
Elle trouva un petit bouquet de muguet accroché tant bien que mal à l’endroit où elle se tenait le matin-même quand Demetrio lui avait fait le baisemain.
De plus en plus prise au jeu, elle descendit les marches, et fit irruption dans l’accueil désert. Enfin, en dehors d’Hélène qui s’assoupissait sur le comptoir. Elle trouva une marguerite plus grande que la moyenne, de laquelle pendait encore un message. Veillant à ne pas réveiller la servante, elle avança sur la pointe des pieds –manquant de renverser le vase posé sur la table basse et de se prendre les pieds dans le tapis-, vers la fleur blanche, coincée derrière un cadre, représentant un paysage de campagne ou s’écoulait paisiblement une rivière. Un craquement la fit sursauter, mais elle se rendit compte que ce n’était que le feu. Les mains tremblantes, elle s’empara de la fleur, et lut en murmurant :
- Sempre per il mio dolce…
Elle ne comprenait pas tout ce qui était écrit, mais ces mots aspiraient tellement la douceur qu’elle ne se posa pas la question.
Elle prit alors l’autre porte du fond, celle où Cécilia disparaissait le plus souvent. Elle arriva dans un couloir très peu éclairé, carrelé, et où la tapisserie était un peu déchirée ça et là. Un écriteau, sur une porte, annonçait « bureau de la direction – ne pas déranger ». Elise eut soudain envie de l’ouvrir, mais elle se retint. Son regard fut attiré par deux tulipes enlacées nichées dans une des fissures du mur. Cette fois, pas de petit message. Elle continua dans le corridor, puis entendit une voix, alors elle se cacha dans un placard à balai qui se dressait là.
Demetrio passa, un bouquet de fleur de toutes sortes dans les bras, des papiers dans la main gauche, une plume dans l’autre.
- Je suis vraiment bête, se dit-il soudain, à haute voix. Elle ne les trouvera jamais, ici. Et puis, c’est une idée stupide.
Il s’arrêta un peu avant le placard à balai, s’adossa au mur et se laissa glisser, jusqu’à être assis sur le carrelage froid.
- Quanto stupido, murmura-t-il en fermant les yeux. Pourquoi est-ce que je veux toujours faire complicato, alors que je peux faire simple … ?
Elise avait envie de sortir du placard –surtout parce qu’elle avait le pied coincé dans un seau-, pour aller lui dire que, s’il était enfantin, elle l’était aussi, puisqu’elle avait suivi son jeu jusque là. Soudain, un doute l’assaillit.
Et si ce n’était pas pour elle ?
Elle s’assit sur le seau retourné, derrière elle, et se mit la tête dans les mains. Si c’était pour Hélène, et qu’il s’était juste trompé de chambre ? Elle se mordit les doigts. Lors de son petit périple à travers l’auberge, elle avait senti naître en elle une attirance pour le jeune et romantique homme. Maintenant, elle savait qu’il était trop tard pour revenir en arrière.
Plus elle y pensait, plus elle se rappelait. Dans les escaliers, c’était aussi là où se trouvait Hélène. Hélène avait les yeux bleus, comme la couronne de fleur. Elle passait le plus clair de son temps à l’accueil, et la marguerite se trouvait juste en face de là où elle s’était endormie. Les chandeliers consumés, c’était elle, la servante, qui les changeait. Les trous dans les murs, c’était aussi elle qui les comblait. Et les messages… Il n’y avait pas de nom. C’était évident, ce n’était pas pour elle.
Elle sentit que le jeune italien bougeait. Il sortit de sa poche un écrin de velours noir et le déposa au bout du couloir avec le reste du bouquet. Il repartit en regardant le sol, et Elise s’en estima heureuse, car il aurait pu remarquer que les fleurs avaient disparues. Elle entendit la porte du couloir que l’on ouvrait, et quelqu’un qui éternuait.
- Ca ne va pas, mademoiselle Maginot ?
- Si… At-chou ! Je suis juste allergique au… At-chou ! Pollen des fleurs…
Elise eut soudain très envie de rire. Mais elle entendit Demetrio qui dit :
- Mais… Il n’y a plus de fleur, ici ?
« Aïe… » pensa la jeune femme. « Décidemment, Hélène a un don pour tout gâcher ! ».
Mais Demetrio n’en fit rien, car elle l’entendit quitter l’accueil, puis les grincements des escaliers. Enfin, elle entendit Hélène se moucher. Elle calma son cœur, et se décida à sortir. Elle avait mal aux jambes à force de rester dans cette position. Ayant oublié qu’elle avait toujours le pied coincé, elle fit une chute qui aurait plié en deux même l’homme le plus sérieux de la planète. S’estimant heureuse que personne ne l’ai vue, elle épousseta ses vêtements et mit bien deux minutes à décoincer sa chaussure. Elle allait partir, quand elle se souvint de l’écrin noir, et du bouquet de fleur. Elle les prit, et sortit par une petite porte qui donnait sur le jardin des Weber.
Instantanément, elle se trouva mouillée.
Elle entendit un éclat de rire, puis un deuxième. Mécontente, elle enleva les mèches mouillées de ses yeux pour voir Sophie et Josépha, un seau chacune à la main, trempée jusqu’aux os, la mâchoire claquante à cause du froid, mortes de rire. Elise posa ses fleurs, se jeta sur un des seaux qui restait encore à côté de la fontaine, le remplit et balança son contenu sur Sophie, qui émit un cri suraigu, avant de se jeter, elle aussi, sur la fontaine. Avant qu’elle ne puisse l’atteindre, elle se prit le reste du seau de la jeune Wagner en plein visage. Josépha tomba dans l’herbe, tellement elle riait, et Sophie avait mal au ventre. Elise voulut remplir de nouveau, mais Sophie la tira en arrière. Elles s’écroulèrent de rire en même temps dans l’herbe, et la jeune Wagner commença aussi à claquer des dents. Josépha, chancelante sur ses jambes, avança vers la fontaine.
- Non, non, noooon ! cria Elise quand elle vint tout lui vider sur la tête.
Et elles se remirent à rire. En hoquetant, la jeune Wagner se redressa, crachant l’eau qu’il lui restait dans la bouche, et tenta de se relever avec difficulté. Ses vêtements étaient trempés, ce qui la gênait pour bouger. Josépha lui tendit la main, pour l’aider, mais Elise, méfiante, se débrouilla autrement.
Dès qu’elle fut debout, elle s’attendait à recevoir un récipient d’eau entier au visage, mais rien.
- Tu as une fleur dans les cheveux, sourit Josépha.
Elise l’enleva machinalement, et dit qu’elle rentrait se sécher. Elle fit demi-tour, et elle entendit le cri suraigu de Josépha qui lui fit comprendre qu’elle avait échappé de justesse au courroux de Sophie.
Elle récupéra ses affaires, et monta les marches de l’escalier.

* * *

Hélène s’était de nouveau endormie sur le comptoir, et Mariana entra, une lettre dans la main. Elle la posa sur le tas de lettre à poster déjà important. Elle remua Hélène, qui sursauta.
- Quoi ? Oui ?
- On ne dort pas pendant le service, mademoiselle, rit-elle. Tu veux que je te remplace ?
La rouquine fit « non » de la tête, puis regarda l’italienne, et se rappela soudain quelque chose.
- Oh ! s’exclama-t-elle. Tu as reçu du courrier !
Le cœur de l’Italienne fit un triple bond, tandis que la servante lui tendait un petit paquet.
- Tu sais d’où ça vient ? s’enquit-elle.
- Non, pas du tout, répondit-elle. Pff, je m’ennuie…
Mais Mariana ne l’écoutait plus. Elle regardait l’écriture de son adresse. La calligraphie était celle d’un homme. Un jeune homme. Elle déchira le papier qui l’entourait, imaginant tout ce que ça pouvait être…
Des pots de confiture. De la part de son frère. Oui, elle aurait dû s’y attendre. Ses épaules s’affaissèrent. Pourquoi avait-elle espéré quoique ce soit de la part de Mikele ? Elle n’avait été que sa servante. Un objet. Elle se passa la main dans les cheveux, tic qu’elle avait quand elle était contrariée, puis s’assit dans un fauteuil. Quelqu’un entra.
Les cheveux maintenant noués en une tresse impeccable, vêtue d’une robe grise argentée, dont les petits cristaux projetaient sur les murs des dizaines de petites lumières aux couleurs des arcs-en-ciel, Naomi Fellucci s’avança. De ses mains gantées de noir, elle sortit un bout de parchemin impeccablement plié, et le tendit à Hélène, qui lut le nom de la cliente.
- Pour une semaine, dit cette dernière en réajustant son chapeau noir. S’il vous plaît.
A ses oreilles brillaient des diamants aux milles facettes, qui faisaient ainsi briller ses yeux bleus pétillants. De son teint pâle, elle faisait ressortir son rouge à lèvre, mettant ainsi en valeur la finesse de ses lèvres, la beauté de son visage.
- Euh… D’accord, fit Hélène. Chambre… 27. Voilà la clé.
La cantatrice la remercia, puis prit son sac et monta. Mariana attendit qu’elle ait disparu à l’étage, pour s’exclamer :
- Ben dis donc, celle-là ! Elle sait comment se mettre en valeur !
- Elle a de quoi, en même temps, dit Hélène, amère.
L’italienne leva les yeux au ciel.
- Tu sais ce que c’est, ton problème ? Tu te sous-estimes trop.
- Bah. J’ai des antécédents valables.
- Ah oui ? Et quoi donc ?
Elle ne répondit que deux mots, qui convainquirent Mariana de ne pas poser plus de questions :
- Ma sœur.
L’italienne inspira bruyamment. Des gens se laissaient pourrir la vie par leur famille. Elle, elle l’avait quittée bien tôt, la sienne. A une époque, elle avait même pensé à changer de nom. Mais le garder était un affront de plus à sa famille. Et puis, elle en gardait tout de même une trace, au fond d’elle, de cette façon.
- Pff, je m’ennuie, répéta Hélène, en posant sa tête dans ses bras.

* * *

La calèche se gara enfin devant l’auberge, et Antonio répéta son théâtre pour faire descendre la jeune française.
- Vous savez monter à cheval ? s’enquit-il.
La question surprit Isobelle. Les souvenirs revinrent à sa mémoire instantanément. Elle revoyait les images terrifiantes de sa dernière expédition en cheval, et bredouilla :
- Oui, mais euh… Pas en robe…
Le musicien sourit, et elle annonça qu’elle allait se changer. Elle se précipita dans l’auberge, rencontra le regard meurtrier d’Hélène, et monta le marches. Elle troqua sa robe contre une tunique noire, un pantalon en daim et un gilet de laine. Après mûre réflexion elle prit aussi une écharpe.
Elle traversa l’auberge dans l’autre sens, rencontrant une nouvelle fois le regard meurtrier de la rouquine, et rejoignit Antonio, qui n’avait pas bougé, lui sourit. On la croirait dans son élément, habillée ainsi. Il glissa une pièce dans la main du conducteur de calèche, et il les aida à détacher les deux bestioles. Ensuite, ils poussèrent le véhicule tout le long de la rue pour la ranger dans un endroit où elle ne gênerait personne. Enfin, le conducteur se dirigea vers un café, et le couple (enfin, non, le début de couple), rejoignit les chevaux.
Isobelle, tremblante à l’idée de remonter sur un animal, elle mit un pied dans l’étrier et se hissa dessus. Antonio, lui, fit ça tout naturellement. Il montait tous les jours, c’était donc plus évident. Après un regard complice, ils firent avancer leurs chevaux dans la petite ruelle, jusqu’à un champ désert. Antonio fit sauter son cheval par-dessus la barrière, Isobelle jugea plus sage de la contourner.
- La dernière fois que je suis montée sur un cheval, j’avais seize ans, dit-elle.
Le compositeur s’arrêta, puis fit tourner son animal vers elle. Elle regardait l’herbe, triste.
- Il y avait des attentats terroristes, dans ma région, poursuivit-elle. Des soldats royaux sortaient de partout et tuaient tous ceux qui avaient, à un moment ou à un autre, voulu protester contre le Roi.
Sa voix se chargea de chagrin, mais Antonio ne bougea pas, attentif.
- Mes parents en faisaient partis. Forcément, pour les soldats, moi aussi. Je prenais mon cours d’équitation, ils ont surgis. Le cheval a été plus courageux que moi. Il s’est mis à galoper, je crois que j’y étais pour quelque chose, mais je ne contrôlais rien. Même pas mes muscles. Ils ont abattu le cheval et… (Elle frissonna). Je suis tombée dans le ruisseau, plein à cette saison-là. Il était prêt à déborder, et l’eau était trouble.
Ce fut au tour du musicien de frissonner. Il imaginait un peu la scène. Isobelle, plus jeune, tombant à cheval, roulant sur elle-même, dévalant une pente rocheuse et tombant dans de l’eau vaseuse et glaciale…
- Je n’avais plus d’air, mais j’ai attendu deux minutes avant de remonter. Ma vue se brouillait, mon cerveau demandait de l’oxygène.
Elle se tut.
- Et … ? risqua-t-il.
- Je suis remontée à la surface. Ils m’attendaient. Ils se sont jetés sur moi, et j’ai dû nager parmi les algues visqueuses. Ce n’était rien à côté de l’horreur qui m’attendait auprès des soldats. Alors j’ai nagé tout ce que j’ai pu. Et ils ont abandonné.
Le tableau d’horreur se tut dans l’esprit du musicien, et il fit avancer son cheval lentement vers la jeune femme.
Il la força à le regarder, et plongea ses yeux dans les siens. La tristesse en disparut.
- Merci, dit-elle en souriant.
Il se pencha en avant, et ils s’embrassèrent. Elle ne sut plus qui avait été chercher le premier, mais les autres s’ensuivirent naturellement. Le cheval d’Antonio piaffa d’impatience, et voulut avancer, mettant ainsi un terme à l’étreinte des deux amants.


* * *

Hélène entra dans la cuisine, et huma avec plaisir l’odeur de chocolat qui persistait. Elle loucha sur le plat prêt, mais décida de mettre un torchon dessus pour ne pas être tentée. Déjà qu’il n’y avait pas grand-chose…
Le soleil du crépuscule entrait par les rideaux orangés, projetant une lumière vive dans toute la pièce. Remotivée par cette ambiance estivale, elle se remonta les manches et se mit au travail. Une heure plus tard, trois gros poulets étaient au four, dorant avec paresse, les bulles d’huile éclatant ça et là autour d’eux. Hélène ne se donna pas le temps de souffler : elle se mit à peler les patates avec entrain.
Garance entra alors dans la pièce embaumée de chocolat, et huma avec délice. Elle jeta un œil circulaire autour d’elle pour chercher le gâteau, et se rendit compte que l’objet qu’elle convoitait était bien dérobé aux regards.
- Salut ! lança Hélène. Tu viens manger ? C’est pas encore prêt, je te préviens.
- Non, c’était le pouvoir du chocolat qui m’appelait, rit la jeune femme. Tu veux que je t’aide ?
- Non, c’est bon, refusa poliment la rouquine. J’essaie d’être engagée pour ça.
- Vie bien ennuyeuse.
- Je ne te le fais pas dire.
Garance s’assit en face de la jeune servante, qui ne voulut pas qu’un silence s’installe.
- Tu viens d’où, toi ? s’enquit la servante en reprenant une patate.
Elle hésita, puis répondit :
- Théoriquement, je n’en sais rien du tout. J’ai des racines espagnoles, ça, c’est sûr. Mais après… Je ne sais pas de quelle origine étaient mes parents.
Hélène fut attristée. Elle avait connu une histoire semblable. Enfin… A quelques éléments près.
- Bah, tu sais, j’ai appris à vivre sans. On m’a placée dans un couvent (elle fit la grimace), et puis, me voilà. Je me suis enfuie, je ne les supportais plus. Attends, écoute un peu ça ! Elles croyaient que je faisais de la magie parce que je parlais en espagnol ! Il faut le faire !
Hélène reconnut qu’elles allaient un peu loin, et Garance continua de raconter que tout le monde, au couvent, l’évitait au maximum, parce qu’elle ne répondait de rien, et parce qu’elle parlait, au début, espagnol. Puis, elle s’était fait au français, mais toujours pas aux consignes. Et enfin, une nuit, elle s’était enfuie. Depuis, elle vagabondait dans les villages, guettant sans cesse les petites inattentions des vendeurs au marché qui lui permettait de se nourrir, pour vivre. « Ah, pensa Hélène, c’est pour ça qu’elle est d’une maigreur maladive ».Puis Garance changea de ton. Elle raconta qu’elle avait découvert un homme qui lui plaisait, et qu’elle avait l’intention de faire en sorte qu’il change sa vie.
- Un homme ? se réjouit la servante.
Puis son visage s’assombrit. Elle craignait d’une nouvelle rivale pour Antonio.
- Si, répondit l’espagnole, l’air rêveur. Un autrichien, je crois. Bref.
La rouquine fut soulagée.
- Et toi, ta famille ? demanda l’espagnole. Je t’ai entendue plusieurs fois mentionner ta sœur, mais on ne sait toujours pas ce qu’elle a fait pour te rendre aussi peu sûre de toi.
La française se renfrogna. Cette conversation là, elle l’aurait évité pour tout l’or du monde.
- Et bien… commença-t-elle. Je te raconte quoi en premier ?
- Ta sœur.
Hélène fit la grimace.
- Ma sœur s’appelle Victoire. Elle a trois ans de plus que moi. On a grandi ensemble, dans la vieille maison de nos parents. Pour s’en sortir le mieux qu’on pouvait, dans la vie, on faisait de l’agriculture, et les marchés.
Elle frissonna. Elle n’aimait pas du tout se rappeler sa sœur.
- Le problème, c’est que, au marché, il y avait beaucoup de jeunes hommes. Qui convoitaient ma sœur. Tu m’étonnes ! Elle est blonde et bien formée : les hommes n’allaient pas cracher dessus. Et puis, elle avait cette réputation de femme très facile. Donc, forcément, ça attirait.
Garance se taisait, attendant la suite de l’histoire.
- C’est comme ça que naquit la réputation des Maginot. Oh ! Et quelle réputation ! Je te laisse imaginer.
- Quand tu dis « des Maginot », ça veut dire toi et ta sœur ?
- Tu as tout compris.
Elle détourna le regard. Garance essaya de ne pas imaginer ce qui avait pu se passer, et essaya de changer de sujet :
- Et tes parents ?
Hélène sourit tristement.
- Assassinés. Enfin, non, pas exactement. Ma mère a eu plusieurs amants…
« Comme quoi, songea Garance, telle mère telle fille ».
- … Qui pensaient qu’elle n’était pas mariée. Quand ils s’en sont rendu compte, ils l’ont provoqué en duel sur la place du marché. Mon père n’était vraiment pas un bon escrimeur. Il s’est fait tuer. Puis ma mère a cherché à refaire sa vie. Elle est tombée sur un homme –le forgeron, en fait-, qui était très violent.
Elle se tut. Mais Garance ne voulait pas s’en arrêter là.
- Je ne sais pas. Je ne sais pas si elle s’est suicidée ou s’il l’a tuée. En fait, j’ai juste retrouvé le journal qu’elle tenait, quand elle était en vie.
- Et le forgeron ?
- Il est parti. Je n’ai plus jamais eu de nouvelles depuis.
Garance sortir de sa rêverie, et remarqua à peine qu’Hélène avait fini d’éplucher les pommes de terre. La servante se leva, nettoya les détritus, et s’employa à écraser les féculents pour en faire de la purée. A ce moment, Constance entra, revêtue d’une robe rouge et noire, d’un chapeau rouge où était accrochée une petite voilette noire, admirablement bien maquillée, avec ses lèvres repassées d’un rouge flamboyant, ses yeux d’un trait fin de crayon noir, ses paupières d’un dégradé du rouge au noir.
- Et bien, mademoiselle, plaisanta Garance. Ce n’est pas la journée du mauvais goût, aujourd’hui, à ce que je sache !
La jeune Weber éclata de rire, et prit place à côté de l’espagnole, tandis qu’Hélène continuait son ingrate besogne.
- C’est si horrible que ça ? s’enquit Constance.
- Pas du tout, répondit-t-elle franchement. Cela vous met bien en valeur, c’est superbe.
La jeune Weber sembla satisfaite, et se leva pour mettre le couvert. Là, Wolfgang entra. Et la chaleur générée par le four n’était en rien coupable du rouge qui gagna les joues de Constance. Elle était tellement surprise qu’elle faillit lâcher la pile d’assiette qu’elle tenait dans les mains.
Lui ne les regardait pas. On voyait encore le chemin des larmes sur ses joues creusées. Il s’assit à côté de Garance, et glissa ses doigts dans les siens, tout naturellement.
Constance crut qu’elle allait faire un meurtre.
Mais peut-être étaient-ils juste amis ? Elle ne perdait pas espoir de plaire un jour à ce jeune musicien.
Soudain, celui-ci releva la tête, et reconnut Constance. Il arracha sa main à celle de l’espagnole.
- Constance ?! s’exclama-t-il.
Il la détailla de la tête aux pieds, et un sourire illumina le visage de la jeune Weber. Lui sembla perplexe. Hélène et Garance suivaient la scène avec beaucoup d’attention, mais toutes deux n’étaient pas de même nature. Garance pour voir si elle devait établir un plan pour se débarrasser de Constance, et Hélène par simple curiosité.
A ce moment, Cécilia entra, l’air affamé et préoccupé.
- Ben dis donc ! s’exclama-t-elle. On a une femme qui vient d’arriver, là, il y a deux minutes, j’vous dis pas !
- Qu’est-ce qu’elle a ? demanda Garance.
- Des vêtements très moulants, de la peinture sur le visage et des chaussures montantes.
Hélène se mit brusquement à pâlir.
- Qu’est-ce que tu as ? s’étonna Constance.
- C’est… bredouilla-t-elle. Enfin… Je crois que c’est…
Elle se leva de sa chaise, blanche comme la mort, et se dirigea en titubant vers la porte. Priant de toutes ses forces pour que ce ne soit pas elle, elle gravit les marches qui l’emmenaient à l’accueil. Quand elle la vit, elle voulut disparaître six pieds sous terre (♫), mais Victoire lui tendit les bras pour qu’elle s’y réfugie, comme quand elle plus petite. Hélène sentit les larmes lui monter aux yeux. Non… Victoire ne pouvait pas être ici. Ce n’était pas possible. Elle ne pouvait pas lui gâcher sa vie partout, quand même !
- Et bien, Hélène ? Tu n’as pas l’air contente de me voir.
« Oh non, pensa celle-ci. Si tu savais, ma vieille, tout ce que je ferais pour te voir disparaître… »
- Si, mais je suis surprise. Tu n’étais pas avec le propriétaire du théâtre ?
- Oh, lui ? Non, depuis, j’ai été avec Marc. Tu sais, le boulanger ? Ah ! Et Loan, aussi, son apprenti.
Hélène eut envie de vomir.
- Et comme je m’ennuyais, je me suis dit que j’allais venir te voir !
« Les hommes d’Allemagne ne sont pas forcément mieux que les français. Tu ferais mieux de retourner là-bas. »
- Ca ne va pas ? Tu ne dis rien.
« Si tu savais tout ce que j’avais à te dire… Tu ne vois pas que tu entraves constamment ma vie privée ? »
- Si tu veux que je parte, tu peux me le dire, tant pis. J’aurais juste dépensé de l’argent pour rien.
« Oh oui ! Vas-y, la porte de sortie est grande ouverte ! »
-Non, s’entendit-elle dire. Tu es la bienvenue ici.
Victoire s’approcha, un grand sourire aux lèvres, et la serra dans ses bras. La vérité, c’était qu’elle s’était faite chasser de chez elles. La maison avait été rachetée, pour une modique somme d’argent, qui visait à la sortir un peu de la misère. Mais une fois dehors, elle s’était rendue compte qu’elle ne pouvait plus rien faire. Elle avait bien tenté le boulanger et son apprenti, mais aucun d’eux n’avaient pu l’accueillir chez eux. Donc elle s’était résignée à rejoindre sa petite sœur, dans les contrées inhospitalières d’Allemagne –pays qu’elle détestait-, où elle devrait vivre. En espérant y trouver du travail, de plus.
Hélène se défit de son étreinte, et tourna les talons. Une brusque nausée s’était emparée d’elle. La tête lui tournait.
Elle passa la soirée dans sa chambre.

* * *

Pendant ce temps, à table, les rires et les conversations fusaient de tous les coins. La table semblait déjà plus organisée : Isobelle et Antonio étaient assis en côté, les joues rosies, Demetrio était près de Cécilia, en face d’Elise qui, elle, tentait au maximum d’éviter le regard du jeune italien. En parlant d’italien, Mariana était accoudée à la table, le regard dans le vague, sûrement près de son amoureux secret. A côté d’elle, Constance discutait timidement avec Wolfgang qui, lui, préférait échanger avec Garance, assise de l’autre côté de lui. Victoire était installée entre Sophie et Josépha qui se disputaient un morceau de pain, Eleonore, pas loin, achevait une cuisse de poulet conséquente sans trop de mêler de ce qui se passait autour. En revanche, Naomi louchait sur les doigts huileux de ceux qui mangeaient avec les doigts.
- Et bien, mademoiselle ? Vous ne mange pas ? s’étonna Cécilia, qui voyait très peu Mariana manger. Vous n’aimez pas ?
- Si, si, répondit l’italienne, mais j’ai du mal avec la cuisine à l’huile.
- Spécialité espagnole, annonça Garance.
- Peut-être. C’est pour ça que j’ai du mal.
Elle mangea encore une cuillère de purée, puis renonça. Elle avait le ventre trop noué.
- Veuillez m’excuser…
Elle se leva et quitta la table. Cette musique qui lui tournait dans la tête lui donnait la migraine. Elle s’allongea sur son lit, et sursauta quand elle entendit quelqu’un bouger, à côté d’elle.
- Qu’est-ce que tu fais ? demanda Hélène, qui était couchée dans son lit.
Mariana posa la main sur son cœur, pour le calmer.
- Tu m’as fait peur ! Je ne savais pas que tu étais là !
- Jusqu’à preuve du contraire, c’est aussi ma chambre…
- Oui, je sais, mais je ne savais pas que tu étais montée si tôt.
Hélène haussa les épaules, et retourna la tête dans l’autre sens, dans son oreiller.

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Nelly Salieri ♪

Nelly Salieri ♪
♫ L'Ecrivaine ♫


Chapitre quatrième :

- Monsieur… Mozart ?
Wolfgang se retourna, cherchant des yeux qui l’avait appelé, et il reconnut Constance.
- Oui ?
- Euh… Pourrais-je vous parler ?
Le musicien sembla un peu surpris, puis, finalement, accepta. Ils sortirent dans le jardin plongé dans la nuit, où leur souffle laissait de petits nuages de brume scintillants. Wolfgang attendit qu’elle se mette à parler.
- Et bien… Monsieur Mozart, je voulais vous dire que… commença-t-elle.
Ayant flairé le danger potentiel que présentait cette femme, Garance s’était glissée en douce derrière eux. Elle voyait le malaise de la jeune Weber, et le regard absent de Wolfgang. L’espagnole se prit à espérer qu’il pensait à elle.
- Constance, la coupa le musicien. Je vous apprécie beaucoup. Je ne voudrais pas vous faire faux bond, mais… Je suis pressé. Au revoir.
Et il partit, la laissant seule, dans le noir, dans le froid. La fureur monta en Constance comme jamais elle n’était montée. Elle eut envie d’hurler après cet homme. Garance vit son visage se décomposer sous l’effet de la rage, et elle retint un éclat de rire. La pauvre !



Un mois plus tard, le coq chanta un peu plus tôt que d’habitude, peut-être quelques minutes, du fait que l’été arrivait. Hélène se réveilla, s’étira, se frotta les yeux et bâilla un grand coup. Elle avait commencé à apprécier un tout petit peu la vie d’ici. Après tout, elle était bien installée, et sa sœur avait renoncé à s’installer là. Garance l’avait bien aidée pour la chasser, elle lui en était reconnaissante.
Elise Wagner s’était définitivement installée à l’auberge. Mariana et Hélène avait passé deux bonnes journées à lui emménager une chambre digne de ce nom. Elise y avait installé toute sa déco, où on trouvait notamment des bouquets de certaines fleurs plus ou moins fanées.
A ce propos, Demetrio Salieri avait disparu de la circulation allemande. Antonio avait dit qu’il avait du travail en Italie, et qu’il devait revenir rapidement. Elise ne demandait que ça.
En parlant d’Italie, Mariana, elle, se languissait de son amour secret. Elle tenait un journal intime qu’elle rangeait dans sa table de nuit, et Hélène se mordait les doigts à chaque fois que sa curiosité la poussait à aller le lire. Elle savait qu’elle n’en avait pas le droit, mais elle ne pouvait pas s’en empêcher ! Elle se prit même à espérer que Mariana s’en rende compte pour qu’elle le change de cachette pour qu’elle ne soit plus tentée.
Les deux gouvernantes étaient finalement restées plus que Cécilia ne le voulait au départ. Elles apportaient, à elle deux, une aide considérable à l’organisation de l’auberge, et demandait très peu en retour, puisqu’elles étaient logées et nourries.
Cécilia Weber désespérait de voir sa fille Constance sourire à un homme. Depuis que ce Mozart avais acheté une demeure non loin et qu’il ne lui rendait plus visite, Constance était terriblement malheureuse. Elle s’était dit à maintes reprises que ce n’était pas grave, qu’elle retrouverait l’homme qu’il lui fallait, mais son cœur ne voulait pas.
Eleonore, elle, ne se préoccupait pas plus des hommes que de son futur métier. Elle écrivait tout ce qui lui passait par la tête, et sa table de travail était envahie d’esquisses de roman qu’elle avait eu, qui étaient le fruit de plusieurs idées mélangées. Elle plaisait aux hommes, elle en était consciente, mais elle n’avait pas encore envie de s’en charger. Après tout, elle n’avait que vingt-quatre ans.
Aloysia était partie en Autriche avec son mari. En « lune de miel », sois dis-en. Personne ne le disait, mais tout le monde espérait, pour elle, qu’elle trouverait le moyen de s’en débarrasser d’une façon ou d’une autre. Et les lettres ambigües qu’elle envoyait à sa famille lui faisait comprendre qu’elle soutenait la même opinion.
Naomie Fellucci était surmenée, et à bouts de nerfs. Son frère lui en faisait voir de toutes les couleurs pour faire entrer sa compagne, Isobelle Delacour, au théâtre Salieri, mais Naomie refusait catégoriquement. Jamais elle n’avait accepté de français sur les planches de son théâtre, et ce n’était certainement pas son frère qui allait lui imposer la première ! Alors elle luttait contre lui, employant tous les arguments qu’elle pouvait, mais se sentait céder peu à peu. Elle priait le retour de Demetrio qui prendrait son parti, comme toujours.
Garance avait finalement fini par trouver l’Allemagne intéressante, et elle avait décidé de s’y établir. Ayant rendu une fière chandelle à Hélène en chassant sa sœur, la servante avait beaucoup insisté auprès de Cécilia Weber pour que la jeune espagnole puisse séjourner à l’auberge avec moins de frais que la normale. Après quatre jours de négociation ardue, Hélène avait enfin obtenu ce qu’elle voulait.
Tout allait bien à Mannheim. Plusieurs choses étaient souvent passées sous silence, mais les conflits les plus gros n’éclataient jamais au grand jour. Chacun s’arrangeait pour faire passer les rumeurs sans que cela ne fasse d’incident diplomatique important.
En ce lundi matin, alors que tout le monde vaquait à ses occupations, Elise errait sans but dans les parcs inutilement fleuris d’Allemagne. Inutilement, car personne n’était là pour apprécier les couleurs chatoyantes des fleurs. Elle s’assit sur un banc de bois et se plongea dans la contemplation d’un pigeon qui grignotait un bout de gravier. « Qu’est-ce que c’est bête, un pigeon », pensa-t-elle avant de se lever pour continuer sa balade mélancolique.
Ce qu’elle ignorait, c’était que, si elle était restée deux ou trois minutes de plus, elle aurait vu ce jeune italien arriver vers son banc pour s’y installer, papier à musique dans les mains. Ce jeune italien, Demetrio Salieri, aurait, lui aussi, souhaité la croiser. Mais on lui avait dit qu’elle était retournée dans son village d’origine. Il ne savait plus qui avait dit ça, mais il se souvenait que cette personne avait été incapable de lui donner son adresse. Il soupira, rejetant la tête en arrière.
Elise continua à déambuler toute la matinée, et décida de prendre son déjeuner dans un petit restaurant calme. Elle s’installa, et commença à manger, d’un œil distrait. Une fois de plus, si elle avait relevé le regard et s’était concentrée sur les passants, elle aurait pu apercevoir celui qui faisait battre son cœur.
Demetrio avait décidé de descendre la rue pour aller sur les berges du ruisseau, essayer d’y trouver un soupçon d’inspiration. Il se défit de ses chaussures et mit les pieds à l’eau. Il faisait bon, en cette matinée de juin, et aucun enfant ne pourrait l’éclabousser. De plus, il était dans un coin un peu reculé du ruisseau, que personne n’arpentait habituellement. Il prit alors la décision de piquer une tête.
Elise jeta un regard triste au ruisseau qui sillonnait plus bas, ressentant l’envie d’aller s’y baigner, mais elle renonça. Elle n’en avait finalement pas envie. Mais de quoi avait-elle réellement envie ? De rien. Ah, si… Animée d’une poussée d’adrénaline, elle se mit à courir vers l’auberge.
Demetrio sortit de l’eau trop froide, et s’allongea au soleil, son papier musique toujours vierge posé à côté de lui. Il allait renoncer, quand l’illumination lui vint. En haut, il marqua « Lettres à Elise », et il commença à écrire des notes, au fil de la plume.
Après s’être rapidement changée, la jeune Wagner monta à bord d’une calèche-taxi, qu’elle somma de l’emmener au centre équestre le plus proche. Le chauffeur de crut malin de dire que le plus proche était devant son nez, qu’elle avait deux chevaux en parfait état à utiliser, et que c’était seulement deux sous, mais le regard meurtrier de l’allemande le fit rapidement taire.
La calèche démarra en cahotant sur les pavés, et Elise s’en alla passer son après-midi parmi les chevaux, où elle se trouva apaisée et tranquille. Elle réussit presque à ne pas penser à Demetrio Salieri.
Celui-ci acheva sa partition lorsque le soleil commença à se décliner à l’horizon. Il roula le papier, et décida de le porter à l’auberge, où ils seraient sûrement dans la capacité de lui donner une adresse précise. Il décida de marcher pour apprécier l’air de cette magnifique fin d’après-midi, et entra dans l’auberge Weber.
Il se retrouva au cœur d’une vraie fourmilière. D’une main de maître, Cécilia indiquait tout ce qu’il y avait à faire. Le jeune italien ne comprenait pas ce qu’elle ordonnait, mais il vit qu’elle le faisait bien. Des filles Weber sortaient de partout, transportant robes, vestes ou chemises, des corbeilles pleines d’accessoires et de chaussures ou des bouquets de fleurs monstrueux. Il traversa l’autoroute de fille vers le comptoir, où Mariana était tranquillement en train de lire un livre, indifférente à l’agitation environnante.
- Bonjour, mademoiselle, dit-il. Est-ce que vous savez où je peux trouver Elie Wagner ?
Elle releva les yeux de son livre, dévisagea l’italien, et dit :
- Elle vient de sortir. Vous pouvez lui laisser un message.
Il ouvrit des yeux ronds.
- Elle vient de sortit ? répéta-t-il, éberlué. Mais je croyais qu’elle était rentrée chez elle !
- Elle est chez elle, monsieur.
Le cerveau du jeune homme retourna l’information dans tous les sens.
- Mais… Vous venez de me dire qu’elle venait de sortir …
Mariana leva les yeux au ciel, glissa un marque page dans son livre et se leva.
- Mademoiselle Wagner a décidé de s’installer ici pour y vivre. La chambre qu’elle louait avant est maintenant sienne. Elle en a fait l’acquisition. Maintenant, vous allez me laisser son message, avant que je ne m’énerve, merci.
L’italien lui tendit ses partitions à contrecœur, et Mariana les rangea sous le comptoir. N’ayant plus rien à faire là, elle chassa l’italien, qui sortit dans l’air chaud de cette fin d’après-midi rougeoyante.
Elise, à bord de sa calèche, rentra à l’auberge. Elle vit un homme en sortir, et crut le reconnaître. Etant trop loin pour bien distinguer on visage, elle en déduisit que ce n’était pas celui qu’elle espérait. « Si je commence à le voir partout, ça ne va pas aller », pensa-t-elle. Elle déplia le marchepied et descendit de la calèche, pour pénétrer dans l’auberge Weber, toujours aussi animée en vue de la préparation du bal.
En effet, Antonio Salieri avait demandé à Cécilia d’organiser une fête, qui précéderait peut-être celle de son mariage. Les Weber ayant une grande réputation des meilleures décorations et préparations festives, l’auberge était en ébullition. Il était hors de question que leur réputation soit rompue à cause d’un relâchement. Surtout qu’Antonio Salieri était un homme très important de Mannheim.
La jeune Wagner s’avança vers les escaliers, mais Mariana lui tendit des bouts de papier sans quitter des yeux son livre, trop absorbée dedans. Elise les prit, déconcertée, et monta dans sa chambre. Elle s’assit sur son lit, et lut :
- « Lettres à Elise », de D. Salieri.
Son cœur fit un triple saut périlleux dans sa poitrine, et elle courut dehors à la recherche de Mozart.

*

La nuit tombait quand Eleonore se décida enfin à quitter la maison, pour la première fois de la journée. Elle soupira, frissonna, et voulut faire demi-tour, mais une ombre attira son regard. Intriguée, elle se rapprocha, et vit un homme, qui faisait des ricochets sur le lac.
Il était habillé d’une tunique marron foncée, et d’un pantalon. Ses cheveux étaient blonds, un peu en bataille, et ses yeux bleus foncés. Il était mince, et semblait agile. Ses doigts étaient longs et fins, et il lançait les pierres sur l’eau avec une dextérité incomparable. Eleonore était sous le charme.
Le jeune homme se rendit vite compte qu’il était observé, et il prit peur. Il rangea ce qu’il lui restait de cailloux dans une sacoche qu’il avait à la taille, et prit sa lanterne, mais avant qu’il ne puisse prendre les jambes à son cou, Eleonore cria :
- Ne partez pas !
Il se retourna. La lueur de la lanterne brillait dans ses yeux de saphir, et rendait encore plus marquante la perfection de son visage. Il ne dit rien. Elle s’approcha. Il tourna les talons et s’enfuit. Eleonore l’appela deux ou trois fois, en vain. Elle se rendit compte que le soleil avait disparu. La chaleur de l’après-midi aussi. Dépitée, la tête basse, elle rentra à l’auberge, où la cohue qui avait régné toute la journée s’était un peu calmée. Cécilia s’était assoupie dans un des fauteuils de l’accueil, et Mariana avait laissé sa place à Hélène, qui discutait avec Garance. Celle-ci avait ramené ses cheveux bruns bouclés en une queue de cheval, tenue par un nœud rouge, de la même couleur que sa robe. Celle-ci était un peu dans le style des robes flamenco.
Eleonore alla dans la cuisine, attirée par l’odeur de la viande grillée, et s’assit à table, regardant Mariana qui, avec ses mains de maître, assaisonnait une salade de pâtes.
- Ca sent l’été, remarqua la jeune Weber.
- Non, rit la servante, ça sent l’Italie. Je n’ai utilisé que des produits de là-bas.
- Vous y avez toujours vécu ?
- Oui, et, après réflexion, j’aurais préféré y rester.
- Pourquoi ? s’étonna Eleonore, qui trouvait son pays comme le plus beau du monde.
- Je ne veux pas y retourner pour le pays. Juste pour… Les personnes que j’ai laissé là-bas.
- Pourquoi ne pas les faire venir ici ?
- Parce que j’ignore complètement où il habite.
Un sourire amusé se dessina sur les lèvres d’Eleonore.
- Où IL habite. Donc c’est un homme, qui vous démoralise à ce point ?
L’italienne se redressa d’un bloc, comme électrocutée, et devint rouge jusqu’aux oreilles. Elle marmonna quelque chose en italien qu’Eleonore ne comprit pas, puis elle dit :
- Si cela pouvait ne pas aller plus loin…
- Bien sûr, assura l’allemande. Vous avez ma parole.
« Dommage, pensa-t-elle, ça aurait mis un peu d’action ».
Un silence pesant s’installa entre les deux femmes, et Mariana demanda :
- Et vous, les hommes ? J’ai remarqué que vous plaisiez bien au boulanger d’en face.
Eleonore rit, et dit qu’elle avait choisi celui qu’elle voulait. Ce n’était qu’à moitié mensonge. Elle mourrait d’envie de revoir cet homme mystérieux.

Ϯ

Le lendemain au soir, le théâtre Salieri était plus que bondé. Des servants allaient en venaient de partout, prenant les manteaux des plus riches, portant des verres de champagne à tous, servant des petits gâteaux aux enfants. Ceux-ci s’amusaient à cache-cache dans l’immense bâtiment, qui offrait douze salles disponibles pour s’amuser. Tout le monde était en tenue d’apparat, tous plus élégants les uns que les autres, dans leurs robes multicolores ou costumes très chic. Des gens de tous les pays se présentaient à l’entrée, où Hélène et Mariana contrôlaient les invitations, dans leurs tenues de serveuse. Elles se forçaient à être tout sourire, mais regrettaient de rester là, dans le froid, alors que toutes deux auraient préféré rentrer pour se joindre aux danseurs qui occupaient la place. De là où elles étaient, elles entendaient à peine la musique, dirigée par Mozart. Garance restait à côté d’Hélène, et, entre deux invitations, elles s’amusaient à regarder les gens et à critiquer leur tenue, pour passer le temps. Mariana prêtait une oreille amusée à leurs propos, et se surprit à partager leur jeu en solitaire, dans sa tête.
Elise, un verre de champagne dans la main, sortit au bout d’une heure de fête. Encore une fois, elle se demanda si Demetrio serait là. Après tout, il lui avait emmené les partitions la veille, et elle osait espérer qu’il ne manquerait pas la fête de son frère ! Elle but une gorgée de champagne, et porta plus d’attention à la file des invités qui attendaient pour entrer. Elle vit quelques soldats royaux, puis but une nouvelle gorgée, avant de manquer de s’étouffer. Des soldats royaux !? Elle essaya de voir celui qu’ils entouraient, mais ils semblaient ne protéger personne. « Ah, ils viennent juste à la fête, ils n’accompagnent personne », se dit-elle.
Le froid eut raison d’elle, et elle rentra.
Aloysia, qui avait pu se débarrasser de ses fonctions de cantatrice pour la soirée, attirait des regards de bien des hommes, et elle ne semblait pas s’en plaindre. Elle dansa avec beaucoup d’entre eux, se réjouissant de la liberté de laquelle elle jouissait quand son mari n’était pas dans les parages. « Non, se dit-elle fermement, ne pense pas à lui, et profite de cette soirée ! ». Elle fit un petit sourire à Wolfgang, qui l’ignora royalement. Il regardait d’un œil mauvais celui qui dansait avec Garance. Les buffets se vidèrent rapidement, et la majorité des servants furent contraint de venir en aide aux cuisiniers pour les renouveler. Hélène se retrouva donc seule à l’entrée pour contrôler les invitations, quand Mariana dut porter secours aux serveurs de la salle.
Elise s’assit sur une des chaises du côté, et croisa les jambes, déterminée à ne pas se lever. Le destin en décida autrement, puisque Demetrio entra, en costume d’apparat, comme les autres. Pourtant, il ressortait bien plus. Elise lui sourit, et il le lui rendit. Il s’approcha, lui fit un baisemain, et l’entraîna sur la piste de danse.
Derrière un des buffets, Antonio regarda le nouveau couple se former avec un sourire. Ainsi, son petit frère avait enfin trouvé une compagne ! Il pria silencieusement pour que ça dure, puis il jeta un regard exaspéré à Naomie qui refusait une énième invitation à danser. Elle surprit son regard, lui tira la langue gentiment, et reporta son attention sur les valseurs.
Victoire traînait aussi par là, cherchant quelqu’un de qui elle serait susceptible d’attirer l’attention, et son regard tomba sur Demetrio. Une vague de jalousie s’empara d’elle. Elle avait pourtant convaincu cet imbécile d’Italien que cette femme avait déserté l’Allemagne ! Apparemment, les Italiens étaient moins naïfs que les français ou les allemands. Avec regret, elle se servit un cinquième verre de champagne. Elle ne savait même pas ce qu’elle venait fêter. Elle grommela quelque chose et s’assit négligemment sur un des sofas.
A l’entrée, Hélène s’en sortait avec peine. Les gestes étaient devenus automatiques : « Bonsoir, votre invitation, merci bonne soirée ». Elle n’avait rencontré aucune personne clandestine, et relevait un minimum la tête, comme lui avait conseillé Cécilia Weber.
- Bonsoir dit une voix masculine. Excusez-moi, je dois vous poser une question.
Hélène le regarda, et sentit son cœur défaillir. L’homme fit signe à deux hommes lourds comme des montagnes de ne laisser personne entrer, et il entraîna Hélène à l’écart.
- Excusez-moi, je n’en ai pas pour longtemps, mais je suis le Prince Christopher.
- Le… Le prince ?! s’exclama la servante.
- Taisez-vous ! Vous êtes la seule dans le secret. Si quelqu’un d’autre le sait, je saurais qui accuser. Compris ?
Elle acquiesça.
- Est-ce que j’ai l’air d’un homme normal ? Répondez franchement.
Elle le détailla des pieds à la tête, et bégaya :
- Je serais vous euh… Je m’ébourifferais un peu plus les cheveux, sinon, c’est bien… On dirait un duc allemand.
- Très bien. Bonne soirée.
Il la ramena à son poste, et entra, suivi des deux montagnes. La servante mit bien une minute avant de se remettre de ses tremblements, et continua à contrôler. La file semblait ne pas en finir, et elle commençait à avoir très froid aux mains. Elle souffla quelques secondes dedans, et continua son ingrat travail.
Les noms se succédaient, et un attira son attention. « Mikele Loconte ».
- Bienvenue, monsieur Loconte, merci d’avoir répondu à mon invitation, dit-elle avec un grand sourire.
- Ah, dit-il avec un accent italien qui réveilla quelque chose au fond de la servante, c’est vous qui m’avez envoyé la lettre ! Merci beaucoup, c’est adorable de votre part. Vous écrivez bien. Ca m’a fait…
Il mit sa main sur le cœur, et lui fit un clin d’œil. Ravie, elle le fit entrer, et retrouva sa mine d’enterrement en demandant l’invitation de celui qui suivait.



Garance, après avoir tourbillonné dans tous les sens, s’assit, à bout de souffle, sur une chaise. Elle demanda à une serveuse qui passait un jus de fruit quelconque, et elle s’empressa de le servir. L’espagnole le but d’une traite, et partit à la recherche de son cavalier. Elle remarqua que la musique n’était pas dirigée par le même, c’était maintenant un homme dans la cinquantaine. Elle fit le tour de la piste, à la recherche de l’homme avec qui elle dansait jusqu’à présent, mais ne le trouva pas. En revanche, elle vit Wolfgang sortir d’un couloir, le nez dans un mouchoir qui commençait à se teindre de rouge. A sa suite surgit enfin le prétendant de Garance, qui se jeta sur lui.
- Qu’est-ce qu’il s’est passé ? s’enquit-elle en voyant Wolfgang se diriger vers la sortie.
- Il est venu vers moi, m’a dit de te laisser tranquille, et d’autres trucs comme quoi je n’avais aucun droit sur toi, et… Ca m’a énervé.
- Tu l’as frappé ?! s’exclama-t-elle.
Elle n’attendit pas sa réponse, elle courut à la poursuite du musicien, plantant l’autre sur place, désemparé.



Mariana porta le plat de petit-four et épousseta son tablier avant de l’enlever. Elle allait rejoindre Hélène à l’entrée, quand quelqu’un plaqua ses mains sur ses yeux. Surprise, elle poussa un petit cri, et chercha à les enlever, mais la personne les maintenait avec puissance.
- C’est qui ? chuchota Mikele à son oreille.
Cette fois, c’est un cri de joie qu’elle poussa. Elle se retourna et se jeta dans les bras du jeune homme qui la serra contre lui. Ils avaient tous deux attendu ce moment depuis tellement longtemps…
Mikele était né en Italie et avait toujours vécu là-bas. Artiste peu connu, il aimait dessiner et sculpter, mais, depuis quelques temps, l’inspiration ne lui venait plus. Sa mère était décédée peu après le départ de leur gouvernante, car elle s’était retrouvée surmenée. La maison avait besoin d’un entretien intensif, et sa mère n’avait pu l’assurer. Depuis, son père s’était enfermé dans le silence le plus total, et Mikele n’avait repris goût à la vie jusqu’à l’arrivée de cette lettre, de la part de cette Hélène Maginot… Qui disait qu’il manquait à une certaine Italienne partie en Allemagne. Le jeune Italien ignorait que son amie de toujours, Mariana, était partie en Allemagne, mais il avait tout de suite su que c’était d’elle que parlait la lettre. Dans l’enveloppe, il avait aussi trouvé l’invitation.
Il huma les cheveux parfumés de Mariana, et mit fin à leur étreinte, pour qu’ils échangent un sourire. L’Italienne n’avait jamais été dans cet état d’euphorie délicieuse. En se prenant par la main, ils allèrent dans le jardin, où, curieusement, le froid n’agressa pas la peau des deux jeunes amants.



La file fut enfin épuisée, et Hélène, tremblant de froid, entra à l’intérieur, où la fête battait son plein. Des couples se formaient ça et là, et la servante s’approcha des bars, ou elle demanda un verre d’eau fraîche.
- Et bien, mademoiselle, dit l’homme qui tenait le bar. Vous semblez bien fatiguée, et ce n’est que le début de la soirée.
- J’ai juste froid, dit-elle.
Il lui servit un verre de champagne.
- J’avais demandé de l’eau, dit-elle.
- Certes, mais l’alcool, ça réchauffe !
Elle sourit, et le regarda plus attentivement. Il avait les cheveux longs, noués en une queue de cheval, et de magnifiques yeux gris, qui semblaient sonder son âme. A regret, elle détacha son regard du sien, et but une gorgée de champagne.
- Je m’appelle Merwan Foster. Et vous ?
- Hélène Maginot, répondit-elle.
- Vous dansez ?
- Pas cette danse-là, sourit-elle. Je ne danse que la danse des paysans français.
Il sourit d’un air énigmatique, dit quelque chose à l’oreille de son collègue, et disparut. Hélène haussa les sourcils, étonnée qu’il la plante là aussi vite.
Le groupe de musique classique avait laissé place à cinq musiciens celtiques. Victoire et Hélène échangèrent immédiatement un regard émerveillé, et se levèrent d’un bond. De la place s’était faite au milieu, parmi les nobles qui ne connaissaient pas cette danse, et les deux sœurs l’entamèrent, tapant dans les mains, tournant sur elles-mêmes d’un mouvement simultané, connaissant tous les pas pour les avoir mainte fois répétés étant jeunes. Les nobles les dévisageaient, et quelques servants s’étaient mêlés à elles.
La musique repartit, entraînant un solo au violon, et Hélène retrouva Merwan, qui lui prit la main, pour l’entraîner parmi le groupe de danseurs.
La musique changea, et le style de danse aussi. La précédente était une ronde, celle-ci était une danse par duo. Victoire voulut danser avec sa sœur, mais Merwan la devança. Merwan et Hélène restèrent ensemble toute la soirée.



Elise et Demetrio avaient quitté la piste de danse au moment où le groupe avait changé. Main dans la main, sourires aux lèvres, ils se baladèrent dans les couloirs vides du théâtre, et entrèrent dans une salle toute aussi déserte. L’italien lui raconta qu’il aurait bien aimé suivre les traces de son frère dans le monde de la musique, mais il n’avait jamais réussi à se faire une place.
- Pourtant, la mélodie que vous m’avez écrite est magnifique.
- Je n’ai pas de talent, Elise, je n’ai réussi qu’à écrire que quelques pièces qui resteront à jamais dans l’oubli.
- Je suis certaine que non.
- Entre nous… Les quelques musiques à peu près potable que j’avais réussi à créer, je n’ai pu que les vendre à d’autres qui en ont fait profit. Je suis un musicien raté.
- Non, ne dites pas ça…
Il sourit tristement, la regarda, et l’embrassa.



Aloysia, descendue de scène au moment où le groupe celtique l’avait remplacée, dégustait les petits fours apportés par les servants. Son chignon gigantesque avait manqué de renverser la bouteille de vin sur la table derrière elle une bonne douzaine de fois, et le pauvre homme guettait chaque mouvement de sa tête pour rétablir l’équilibre.
Mais elle, elle cherchait des yeux Wolfgang. Elle l’avait vu partir, saignant du nez, et espérait qu’il soit, à présent, revenu. Quand elle le repéra, elle eut mal au cœur. Il dansait parmi les serveurs avec une femme. Furieuse, elle se leva, bousculant la table ou la bouteille se renversa enfin. Elle traversa la piste de danse sans se faire trop écraser, agrippa le bras de Garance et la tira vers l’extérieur du théâtre. Wolfgang, surpris, voulut les suivre, mais il se retrouva coincé par les danseurs.
- Mais qu’est-ce qu’il vous prend ?! s’exclama l’espagnole une fois dehors, furieuse.
- C’est toi, qu’est-ce qu’il te prend ?! Tu n’as pas honte de piquer les fiancés des autres ?! explosa Aloysia.
Garance se retrouva prise de court. Elle allait dire quelque chose, mais la cantatrice poursuivit :
- Oui, madame, il m’a demandé en mariage, à moi ! Et je n’attends plus que de me débarrasser de mon fiancé actuel pour l’épouser !
Garance cherchait de l’aide du regard, implorant les gens présents qui tiraient sur leur cigare ou sur leur pipe, mais trop absorbés par leur conversation pour prêter attention aux cris d’Aloysia.
- Que je ne revoie plus jamais en sa compagnie, est-ce clair ?!
Garance n’était nullement intimidée par la conduite de la cantatrice, mais plutôt inquiète quant à son état d’ébriété. Mais quand elle saisit ce qu’elle était en train de dire, elle quand elle la reconnut, elle se fâcha.
- Oh, mais c’est toi, Aloysia Weber ! Justement, j’avais quelques petites affaires à régler avec toi !
Elle s’avança, l’air menaçant, et Aloysia recula.
- Parce que tu crois que la demande en mariage de MON Wolfgang est encore valable ? Parce que tu te dis sa fiancée ?! Et parce que tu oses me demander de ne plus l’approcher ?! Non, mais, mademoiselle Bourreau-des-cœurs, je te prierais d’ouvrir les yeux ! Tes petits sourires, tes petits battements de cils, là… Et bien, ça ne marche plus ! Wolfgang a compris ce que tu étais !
Isobelle, qui sortait à ce moment-là, vit les deux femmes face à face, et décida de suivre la scène plus attentivement. Aloysia, outrée d’être traitée de la sorte, ouvrit et ferma son éventail d’un geste sec, agacée.
- Un amour comme celui-là, beaucoup plus vieux que celui qu’il y a entre vous, ne se fane pas comme ça, ma chère ! (Isobelle, qui n’entendait pas grand-chose, tendit l’oreille) Il y a toujours eu quelque chose entre Wolfgang et moi, et ce n’est pas l’arrivée d’une petite espagnole qui va le changer !
- J’aimerais bien voir ça ! cracha l’autre. Wolfgang ne ressent plus rien pour toi.
- Ah oui ? Et comment peux-tu le prouver ? persiffla Aloysia. Il te l’a dit, c’est ça ? Mais les hommes n’assurent-ils jamais ne plus aimer la femme précédente ? Ouvre les yeux, pauvre fille !
- Ils sont assez ouverts pour voir l’horreur devant moi !
A ce moment, Wolfgang surgit par les grandes portes, repéra les deux femmes, voulut les rejoindre, mais Isobelle l’empêcha d’aller plus loin en lui faisant signe de se taire.
- Tu sais ce qu’elle te dit, l’horreur ?! se hérissa Aloysia.
- Tu le penses assez fort pour que je le sache !
La cantatrice se sentait profondément humiliée. Elle hurla de rage, et voulut se jeter sur Garance, mais celle-ci lui retint les poignets. Toute l’attention était maintenant sur elles.
- Maintenant, dit Isobelle à Wolfgang, vous pouvez y aller.
Il s’élança, sépara les deux femmes, et demanda des explications, mais celles-ci n’aboutirent jamais, puisque l’alarme incendie fut déclarée.

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Nelly Salieri ♪

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Chapitre cinquième :

L’alarme incendie, à l’intérieur du théâtre, sema la panique. Seule Naomie restait calme, car elle avait préparé cette situations une bonne centaine de fois. En restant paisible, elle invita la foule à sortir de la salle. Certains couraient en hurlant, mais la jeune femme leur expliquait que le feu avait sans doute pris dans la réserve des décors, et qu’ils avaient une bonne heure avant que ça ne puisse les atteindre. Certains la regardaient comme si elle était folle, mais ne prirent pas la peine de poser plus de questions.
Le feu avait, en effet, prit dans la réserve des décors. C’était, malheureusement, l’endroit où s’étaient installés Elise et Demetrio, qui tentaient à présent d’enfoncer la porte, barricadée, comme tous les autres, par l’alarme incendie.
- Attends ! cria Elise pour essayer de couvrir le vacarme des flammes. Là ! J’ai quelque chose ! Une barre de fer !
- Passe !
Le jeune Italien fit un effort colossal, puis, dans un claquement de métal, la porte céda pour aller s’écraser dans le couloir.
- Cours ! cria-t-il en lui prenant la main.
Ils s’élancèrent à toute allure dans le labyrinthe de couloir, jetant, de temps autres, des coups d’œil par-dessus leur épaule, pour s’assurer qu’ils semaient bel et bien le feu.
Ils prirent à droite, puis à gauche, puis de nouveau à droite, suivant tous les panneaux marqués du mot « sortie ». Au bout du couloir les attendait une nouvelle porte close. Demetrio cria un mot en italien dont la traduction ne devait pas être très flatteuse, et se défonça l’épaule en essayant de traverser la porte. Il gémit en se tenant l’épaule, et Elise se précipita à son secours, cherchant un moyen de sortir. Elle avisa une petite fenêtre, mais se découragea en se disant qu’elle était bien trop haute et étroite. Alors, elle se concentra sur la porte blindée, et réfléchit. La force était inutile, alors elle chercha un moyen. Le seul qu’elle trouva fut de tambouriner la porte avec ses poings en criant au secours. Demetrio balbutia que ça servait à rien, mais la jeune femme trouvait qu’elle ne s’était pas assez battue pour se rendre. Puis, elle avisa la poignée. Elle se sentit très bête. Elle ouvrit la porte, alla relever Demetrio, le soutint jusqu’à ce qu’ils soient dehors et que la porte soit fermée. Antonio vint aider la jeune femme en prenant son frère, et Isobelle vint s’assurer que tout allait bien.
Naomie était maintenant en pleurs. Toutes ses créations et celles qu’on lui avait confiée étaient en train de brûler. Des gens essayaient de la réconforter, mais elle fut inconsolable. Mariana et Mikele, revenus en courant en voyant l’épaisse fumée noire s’élever, aidèrent les volontaires pour vider l’intérieur de tous les accessoires qu’ils pouvaient trouver. Merwan était l’un de ses volontaires, et ce fut le premier à revenir avec les cheveux roussis. A partir de ce moment là, plus personne n’osa s’aventurer dans le grand bâtiment, au grand désespoir de la jeune Salieri, qui regardait, assise sur un trône en bois sauvé, son théâtre en proie aux flammes.
Eleonore compatissait, assise dans l’herbe, regardant tristement le toit s’effondrer au fur et à mesure. Beaucoup de monde avait déserté les lieux, mais il restait quand même une foule assez compacte. Tout d’un coup, quelqu’un attira le regard de la jeune Weber. Son homme mystérieux ! Sans réfléchir, elle se leva, et rattrapa l’homme qui assistait au spectacle aussi, les flammes dansant dans ses yeux bleus.
- Monsieur ! s’écria-t-elle.
Il la reconnut et lui sourit.
- J’espérais vous retrouver, mais ce n’est apparemment pas dans les bonnes circonstances, dit-il.
- On se moque des circonstances, non ?
- Pas toujours.
Elle sourit, mais il l’ignora, reportant son regard sur les flammes qui rongeaient à présent les cheminées.
- Qui êtes-vous ? demanda-t-elle, à présent certaine de l’avoir vu autre part que les deux fois précédentes.
- On m’appelle Chris, répondit-il. Mais je m’appelle Christopher.
- Ok, Chris, sourit-elle.
Une fois de plus, il ne fit pas attention à elle. Une des montagnes qui le suivait partout lui fit un signe de tête, et il fit tourna les talons. Eleonore soupira, et regagna sa famille, qui épongeait les larmes de Naomie.



Le lendemain matin, le petit-déjeuner était prêt bien plus tôt que d’habitude. Mariana avait été victime d’une crise d’insomnie, et elle avait été incapable de fermer l’œil le reste de la nuit. Elle en était à son quatrième café quand Isobelle se leva, les cheveux en bataille, la chemise de nuit froissée, les yeux bouffis par le sommeil, en train de s’étirer.
- B’jour, salua la française en s’asseyant. Bien dormi ?
Mariana, tremblant sous l’effet du café, la dévisagea, lui faisant comprendre que non.
- Ah, dit-elle. Vous êtes restée tard, à l’incendie, hier soir ?
- J’ai du éloigner pas mal d’enfants, répondit la servante. Mais je suis rentrée globalement tôt par rapport à certains qui y sont restés.
- Ah.
Elle bâilla une nouvelle fois, et se servit du café en se frottant les yeux.
- Et vous ? demanda Mariana. Bien dormi ?
- Ouais…
Elle bâilla une nouvelle fois et but une gorgée de café. Antonio entra, déjà habillé, l’air préoccupé.
- Bonjour tout le monde, dit-il en entrant.
Il embrassa sa fiancée, se servit un gâteau, et sortit immédiatement. Mariana interrogea Isobelle du regard, et celle-ci répondit par un haussement d’épaules. Eleonore entra, aussi un peu affolée, à moitié coiffée, prit une tasse, et sortit. Trente seconde plus tard, elle entra de nouveau, remplit la tasse, et sortit, plus lentement, pour ne pas renverser. Puis arriva Mikele. « Même au réveil il est charmant », pensa l’Italienne avec amusement. Il prit place non loin de Mariana, et elle lui servit une tasse de café, comme elle le faisait à l’époque où elle travaillait pour sa famille. Reconnaissant le geste, il sourit, et prit sa main.
Elise entra, Eleonore à sa suite. Toutes deux avaient des mines d’enterrement.
- C’est quoi, ces têtes ? s’étonna Isobelle, qui s’était retournée.
- Mère fait une crise de nerf, annonça la jeune Weber en s’asseyant à côté de Mikele.
- Et tous les Salieri sont partis au théâtre, dit tristement Elise en posant sa tête dans ses mains.
- Un café ? proposa l’Italienne, qui tenait toujours la main de Mikele.
- Avec plaisir, répondirent les deux femmes à l’unisson.
La servante remplit deux tasses, lâchant avec regret la main de son bel Italien, et leur tendit. Elles la remercièrent, et Eleonore but une gorgée. Elle s’était fixé un objectif : retrouver son homme mystérieux.



Christopher faisait à présent les cent pas dans son immense chambre. Etant le prince héritier du royaume d’Allemagne, il se répétait sans cesse ne pas être fait pour ce métier là. Il jeta un œil par la fenêtre et vit la troupe de troubadours qui avait animé la soirée donnée pour le roi la veille, quitter l’enceinte de son château. Il avait évidemment honte d’avoir fait défaut à ses parents pour l’anniversaire de son paternel, mais s’il y avait bien une chose dont il avait horreur, c’était les repas de famille !
Son père n’avait pas cherché à le contacter ce matin-là, et Chris imagina deux possibilités. Soit son père dormait encore, soit il n’avait même pas remarqué qu’il était absent la veille.
Il s’inquiéta aussitôt pour le théâtre qui avait brûlé. Il espérait qu’il n’y aurait pas trop de pertes, sinon, c’était dans l’argent du royaume que les Salieri allaient piocher pour le réparer !
Contrarié, il s’assit sur son siège, et se releva aussitôt. Trop de choses l’agitaient pour qu’il puisse rester assis. Il alla ouvrir sa fenêtre, et hurla en voyant qu’un oiseau s’était posé sur le bord. L’animal prit peur et s’envola immédiatement. La porte de la chambre s’ouvrit dans un vacarme assourdissant, faisant sursauter le prince, et quatre soldats armés jusqu’aux dents entrèrent dans la pièce.
- Que se passe-t-il, votre Altesse ? demanda un soldat, qui n’avait pas repéré de dangers potentiels dans les environs.
- Rien euh… Un oiseau, dit-il, honteux.
Deux des soldats ricanèrent, mais leur chef, un grand baraqué, resta stoïque. « Ah, là là, les gamins », pensa-t-il avec désespoir.
Ils sortirent, laissant le prince seul à ses sombres pensées. Puis, un rayon de soleil perça les nuages lourds de pluie, et Chris eut une idée. Il prit le sac dans lequel il mettait souvent des livres, y fourra de vieux haillons dégotés à droite à gauche, et sortit.
- Je vais à la bibliothèque, annonça-t-il aux gardes de devant sa porte.
Il traversa le couloir de marbre, dont le plafond et les voûtes étaient blanches. Le soleil maintenant présent projetait une lumière blanche irradiante, et le prince plissa les yeux. Le couloir se terminait sur le balcon royal, où son père se mettait pour faire les grands discours. Il prit le petit corridor qui menait à l’immense escalier de marbre toujours blanc et d’onyx. Des courtisanes se tenaient déjà là, guettant la sortie du roi, et Christopher passa comme une ombre
Il passa devant des dizaines de couloirs menant aux différents bains, salles de spectacle, salles d’audience, cuisines ou autres. Mais au lieu d’emprunter celui qui menait à l’immense bibliothèque, il descendit les escaliers sales qui menaient directement à l’écurie.
Il sella son cheval, et partit au galop sur les petites routes qui menaient aux villages environnants. Quand il fut hors de vue du château, il se cacha dans un coin pour se changer. Il s’ébouriffa les cheveux, selon le conseil de cette esclave, et fit en sorte d’avoir l’air pauvre. Il attacha son cheval à un arbre et lui confia son sac d’affaires. N’étant pas loin d’un village, il le gagna en courant. Dès qu’il arriva, il se retrouva noyé dans une foule compacte, qui allait et venait entre les différents commerces.
- Bonjour, lui dit un homme barbu qui fumait une pipe sur sa charrette. J’peux vous emm’ner quequ’part, mon p’tit ?
- Jusqu’à Mannheim ? Vous pouvez ?
- Pas d’blème. C’est quatre sous.
Le prince monta à bord de la charrette, et celle-ci s’ébranla sur la route cahoteuse. Il put voir les visages des gens qui, étonnés, le voyait se tenir les jambes pour ne pas salir son pantalon. Comprenant que ce n’était pas là l’attitude d’un jeune homme de la campagne, il laissa ses jambes traîner sur la route, et trouva ce jeu très amusant. La charrette s’arrêta enfin, et le jeune homme glissa les pièces dans la main du vieux, avant de descendre. Les nuages avaient repris leur place, mais le prince n’en tint pas compte. Il passa sa main dans les cheveux, et des allemandes, qui passaient par là, le regardèrent, chuchotèrent, et gloussèrent en rougissant. Il leur sourit, et elles émirent des cris suraigus et elles s’éventèrent.
Le prince détourna le regard, vit le théâtre calciné, ou une dizaines de personnes marchaient et déblayaient les décombres. Inquiet, il s’avança.
- Il y a eu des victimes ? s’enquit-t-il.
- Pas à notre connaissance, répondit un homme aux cheveux plutôt courts bruns, et à la barbe naissante. Nous cherchons, mais, normalement, tous les invités ont pu se sauver. Je m’appelle Antonio Salieri.
Il lui tendit la main, prenant le prince au dépourvu. Il n’avait même pas pensé à un nom !
- Christopher, répondit-il. Christopher Dubois.
L’homme le dévisagea, sans doute surpris de ce nom, mais ne posa pas plus de questions, au grand soulagement du descendant royal.
- Je peux vous aider ? proposa-t-il.
- Avec plaisir. Vous pouvez nous aider à porter les gros bouts de bois qui se sont effondrés, là-bas.
- D’accord !
Le vigoureux jeune homme rejoignit ceux qui étaient déjà en train de débarrasser les énormes bouts de murs, et les aida à les déplacer. Il ne sut pas si son aide avait été utile, mais en revanche, ses bras ne le remercièrent pas de cet effort inattendu.
- Et bah ! dit un robuste homme dans la quarantaine. Ca fait du bien de voir des jeunes s’bouger ! Moi, mon fils, il campe à la maison, et, pour le faire sortir d’sa chambre, j’vous dis pas !
- Bah, répondit un autre, c’est normal, c’est l’adolescence ! Quel âge as-tu, p’tit ?
- Vingt… Vingt-deux ans.
- Ouais, voilà, à vingt-deux ans, c’est déjà plus grand, quoi. On sent la maturité. J’me trompe ?
- Ca dépend des gens, reconnut le prince en se passant la main dans les cheveux.
- Alors, le beau gosse ? rit une femme robuste. On cherche une femme ? J’en ai des jolies à te conseiller, si tu veux !
Le prince lui dit que ce n’était pas la peine, mais elle l’entraîna sur le coté, et lui dit à l’oreille.
- Je peux te filer une bonne adresse de femmes célibataires. Tu vois l’auberge, là-bas ? Ben c’est là.
- Irma, gronda un homme bourru, arrête de l’embêter, c’pauvre gosse.
- Suis mon conseil ! lui ordonna la vieille. Je vois dans ton avenir que tu ne le regrettera pas !
- Hin hin, fit le prince. Trop drôle.
- Irma, laisse-le tranquille. Ne l’écoutez pas, jeune monsieur, elle n’a pas toute sa tête. Elle passe son temps à psalmodier partout qu’elle a des pouvoirs magiques.
- Mais j’ai des pouvoirs magiques ! gronda la vieille femme.
- Oui, oui, c’est ça, mémé. J’la ramène chez elle. Bonne journée, jeune homme !
L’homme le salua, et disparut avec la vieille voyante.



Naomie et les autres Salieri ne trouvèrent, heureusement, aucune victime, à leur grand soulagement. Au début de la matinée, un jeune homme charmant que personne ne connaissait était venu, un grand blond aux yeux bleus, mais il était aussitôt parti pour l’auberge des Weber, suite aux conseils de la vieille Irma. Naomie rit intérieurement, puisqu’elle savait ce qu’Irma avait dit au beau jeune homme. Si tu veux une femme, va à l’auberge là-bas. Il serait bien surpris de découvrir le genre de femme qui l’attendait !
Elle donna un coup de pied négligent dans un bout de bois qui alla percuter la jambe de Demetrio.
- Oups, désolée !
Son frère lui fit signe que ce n’était rien, puis se rapprocha d’elle.
- Qu’est-ce que tu attends pour te trouver un mari ?
- Ah non ! Tu ne vas pas t’y mettre, toi aussi, quand même !
- Ecoute, Naomie…
- Non ! Je vous ai dit que si je m’intéresse à un homme, vous le saurez, mais, là, ce n’est pas le cas !
Demetrio n’insista pas. Il connaissait l’entêtement de sa sœur. Celle-ci prit son bloc-notes et s’en alla faire l’inventaire de ce qui lui restait. Seuls les décors manquaient à l’appel, ainsi que les fauteuils et les meubles qui étaient installés dans la salle où le feu était né. Naomie émit un soupir de soulagement. Elle avait craint des pertes bien plus importantes.
- Bonjour, mademoiselle, dit Merwan Foster. Je suis désolé, je suis un peu en retard…
- Ne vous en faites pas, damoiseau, dit-elle en souriant, l’état des lieux est terminé. Vous pouvez vaquer à vos occupations.
- Je n’en ai pas, répondit-il. Je peux peut-être vous aider à nettoyer ?
- Avec plaisir.
Merwan s’arma d’un balai, et, maladroitement, dépoussiéra le sol de la partie du théâtre encore debout, sous le regard amusé de Naomie.
- On voit que vous ne faites pas ça souvent, rit-elle. Votre femme s’en charge-t-elle.
- Elle le ferait, si j’en avais une, répondit-il.
- Oh ? Vous n’en avez pas ? s’étonna-t-elle.
Il fit « non » de la tête, et lui sourit, tout en continuant à balayer.
- Mais c’est sur le point de changer, dit-il.
Elle comprit qu’il ne parlait pas d’elle par son regard rêveur, et se désintéressa du jeune homme.
Oui, elle voulait bien trouver un mari, mais elle n’avait pas l’intention d’aller le chercher. Elle était bien trop occupée avec son théâtre, même si celui-ci était en grande partie en cendres. Beaucoup d’habitant de Mannheim arrivaient pour s’assurer de l’état du théâtre et proposer leur aide. C’est ainsi que, à la fin de la journée, une soixantaine de personnes travaillaient à la reconstruction du théâtre. La façade commençait à se dessiner, et Naomie fronça les sourcils en voyant qu’elle était différente de celle qu’elle avait avant.
- Bah oui, ma p’tite dame, dit l’architecte, qui s’était chargé des dessins, quand elle lui fit la remarque. Mais une touche de modernisme, c’est pas mal, non plus !
Elle lui fit un regard de la mort qui tue, mais il ne flancha pas. Alors, elle céda, persuadée de conduire son théâtre à la faillite.
- Ce n’est jamais que la façade, la rassura Antonio. Il y a encore pleins de murs pour se rattraper.
Elle rigola, et les deux frères regagnèrent le chantier. Mikele et Wolfgang étaient présents, portant, à deux, un gros bout de poutre, pour l’emmener devant les échafaudages, afin que les maçons puissent les prendre pour les installer. A dix-neuf heures trente, l’église sonna la fin de la journée, et tous les hommes descendirent de bon cœur, échangeant tapes dans le dos et bourrades, pour regagner leurs foyers et prendre une bonne nuit de sommeil.
Mariana vint en calèche chercher tous les résidents de l’auberge, et Mikele l’accueillit par un long baiser, qui fut interrompu par Demetrio, car Mikele le gênait pour qu’il s’installe à l’intérieur du véhicule. Les joues rosies, l’Italien s’assit à côté du Salieri, et son regard se perdit par la fenêtre, tandis que l’autre italien dévisageait Merwan, qui était assis en face de lui.
- Vous êtes à l’auberge, vous ? s’étonna-t-il.
- Depuis hier soir seulement.
Demetrio hocha la tête, et regarda aussi par la fenêtre. Le théâtre n’était pas bien loin de l’auberge, mais c’était quand même un bout à pied. Deux minutes plus tard, ils s’arrêtaient sur le perron de l’auberge, où les attendait Isobelle. Le jeune Salieri donna un coup de coude dans les côtes de son frère pour lui faire remarquer, et le visage d’Antonio s’éclaira d’un sourire, tandis qu’il descendait du véhicule pour aller l’embrasser.
- Vous avez bien avancé ? s’enquit-elle.
- Oui, raisonnablement. D’ici deux semaines, on devrait pouvoir y recevoir de nouveaux spectacles.
Elle l’embrassa de nouveau, puis les fit entrer, leur annonçant que deux nouvelles personnes séjournaient à présent à l’auberge. Harassés de fatigue, ils la suivirent dans l’entrée, où ils s’affalèrent dans les fauteuils.
- Bonsoir tout le monde ! claironna Eleonore, qui s’occupait du comptoir. Vous avez bien travaillé ?
Elise et Christopher entrèrent. Elise sourit en voyant Demetrio, et le rejoignit, mais Christopher resta plutôt près d’Eleonore, où il la prit par la taille. La jeune Weber sursauta, puisqu’elle ne l’avait pas vu entrer, mais quand elle le reconnut, son expression s’adoucit et elle passa son bras autour des épaules musclées du jeune homme. Il déposa un baiser sur sa joue.
- Tu as bien dit deux nouvelles personnes ? s’enquit Demetrio en regardant Isobelle.
- Absolument. La deuxième est dans sa chambre, je crois.



Mademoiselle Forestier, une jeune française dont les parents étaient récemment décédés, était une femme de caractère. Baignée dès son plus jeune âge dans le monde du travail, car ses parents tenaient, en France, un restaurant très demandé, et étaient donc peu présents à la maison. Ils avaient d’abord choisi d’utiliser des gouvernantes qui venaient s’occuper d’elle, mais elles avaient rapidement renoncé en voyant le monstre que devenait la jeune Marie quand ses parents étaient absents. Depuis l’âge de neuf ans, elle avait donc carte blanche dans les cuisines du restaurant, où elle pouvait s’exprimer à souhait.
Depuis, la jeune Marie était devenue un prodige de la cuisine. Elle maniait tous les ustensiles avec une main de maître, et faisait des milliers de sauces différentes en fermant les yeux. Blonde comme les blés, elle était l’objet de convoitise de beaucoup d’hommes, mais jamais aucun ne lui avait convenu. Elle croyait à l’amour unique et au coup de foudre, qui n’était encore jamais arrivé. Elle déballa ses affaires, les installant dans l’armoire prévue à cet effet.
Les parents Forestier étaient morts à cause d’un accident de calèche, qui les avait tous deux projetés dans le vide, alors qu’ils arpentaient une montagne aride. La nouvelle avait mis quatre jours à parvenir aux oreilles de la jeune femme, qui avait mis deux mois à se remettre du choc et du vide qui régnait à présent dans cette immense masure. Le restaurant avait été racheté pour une bouchée de pain, et Marie avait été obligée de gagner la seule famille qu’il lui restait : sa tante allemande, une vieille ermite qu’elle n’avait jamais vraiment vu. Marie avait choisi de ne pas la rejoindre, et s’était installée dans cette sympathique auberge où elle espérait obtenir un métier de cuisinière. Après tout, elle ne voyait pas pourquoi les dirigeants ne seraient pas d’accord. Elle acheva de tout ranger, et se mit pyjama. Fatiguée par sa longue journée de voyage, elle s’endormit en posant la tête sur l’oreiller.





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Chapitre sixième :


Le lendemain matin, Mariana et Elise s’employaient à préparer le petit-déjeuner, quand Merwan entra, l’air en forme.
- Bonjour, mesdemoiselles, claironna-t-il. Vous allez bien ?
- Très bien, et vous ?
- On ne peut mieux ! sourit-il.
Il se servit du café et un gâteau, puis regarda tour à tour les deux femmes.
- Ce n’est pas très actif, le matin, constata-t-il.
Mariana sourit, et Elise, le regard perdu, fit lentement « non » de la tête en portant sa tasse à ses lèvres. Demetrio entra, et la jeune Wagner redressa le regard d’un bond. Son visage s’éclaira. Elle posa sa tasse, et se jeta dans les bras de l’Italien encore endormi. Celui-ci, sorti de sa transe somnolente, la serra contre lui, et ferma les yeux. Mariana eut un sourire amusé, et Merwan l’imita.
Christopher et Eleonore arrivèrent en suivant, main dans la main. Ils s’installèrent à côté, sans se lâcher, et mangèrent leur petit-déjeuner. Merwan remarqua que tout cela se faisait dans le silence.
Isobelle arriva, se détachant les cheveux qu’elle avait noués pour la nuit, et s’assit à côté de son futur beau-frère. A peine une minute plus tard, Antonio la rejoignit, déjà habillé et tout propre. Comme la veille, il prit un gâteau, et sortit immédiatement, après avoir embrassé Isobelle, qui émergeait peu à peu de son sommeil.
- Attends ! dit-elle en entendant claquer la porte.
Il fit demi-tour, et l’interrogea du regard.
- Tu rentres pour manger à midi ?
- Non, je n’aurais pas le temps. A ce soir, tout le monde !
Il sortit de nouveau, et Isobelle balaya l’assemblée d’un sourire qui semblait déjà un peu plus éveillé. Demetrio acheva son petit-déjeuner, chuchota quelque chose à Elise, et Merwan, qui était à côté de la jeune Wagner, put saisir : « surprise pour toi ce soir ».Il se leva et quitta la pièce sur les traces de son frère. Elise, ravie et parfaitement réveillée, se leva d’un bond, rangea sa tasse et ce qu’elle avait sorti, puis monta pour se préparer.
- C’est un défilé de couple, ici, ou quoi ? grommela Merwan qui se sentait de trop.
Eleonore éclata de rire, et fut imitée de la plupart de l’assemblée. Les autres les rejoignirent dans la demi-heure qui suivit, plus ou moins habillés et réveillés. Les hommes, après avoir embrassé leurs compagnes, partaient dans les petites calèches qui arpentaient toutes les routes pour aller aider dans la reconstruction du théâtre.
Les femmes, après avoir fini de ranger la cuisine, décidèrent de s’occuper utilement, en s’attaquant au ménage. Mariana et Hélène allèrent dans le jardin pour essayer de tailler la haie devenue un peu trop hirsute à leur goût, laissant ainsi Elise, Isobelle, Garance, Marie, Eleonore, Josépha, Sophie, Aloysia et Constance pour l’intérieur.
Elles se départagèrent les tâches, selon l’ordre de Constance, qui avait pris les rennes des opérations.
- Alors euh… dit-elle. Elise et Josépha, vous montez vous occuper des chambres du deuxième, et Eleonore s’occupera de la salle de bain du haut.
- Ah, non ! protesta sa jeune sœur.
Malheureusement, elle n’eut pas d’autre choix, et le trio monta piteusement l’escalier de bois.
- Euh… poursuivit la Weber. Josépha, Sophie et la damoiselle blonde, là…
- Marie, se présenta celle-ci.
- Oui, voilà. Vous faites celles du premier.
Sophie et Josépha se lancèrent un défi : celle qui arrivait la première à l’étage, et elles commencèrent leur course, écrasant les marches de pin avec la lourdeur d’un mammouth. Morte de rire, la jeune française les suivit.
- Aloysia s’occupera des toilettes du rez-de-chaussée, Isobelle et Garance du nettoyage de la cuisine et moi de l’accueil et des couloirs. Au boulot !
La cantatrice fit une grimace, et se dirigea vers sa sombre besogne, tandis qu’Isobelle et Garance gagnaient la cuisine d’un pas résolu.
A la fin de la matinée, tout resplendissait de partout, excepté les chambres du premier qui s’était transformé en un champ de bataille pour oreillers. C’est au milieu de plumes et de draps en boules que les femmes ayant achevé leur partie trouvèrent Marie, Sophie et Josépha, toutes écroulées de rire sur les matelas nus. L’église sonna une heure de l’après-midi, et les six femmes se décidèrent à les aider, pour ensuite manger.
Le déjeuner fut préparé en vitesse par Marie, qui semblait avoir travaillé dans cette cuisine depuis sa naissance. Au bout d’une demi-heure de préparation, elle leur présenta trois grosses tartes aux endives, que toutes dévorèrent avec appétit. Après avoir tout rangé et nettoyé, elles décidèrent de profiter du bon temps pour s’occuper du jardin, et Hélène et Mariana, restées à l’extérieur toute la matinée, s’accordèrent une petite sieste de repos, dans des hamacs tendus entre deux arbres. A de nombreuses reprises, Sophie et Josépha eurent envie de les renverser, mais Garance veillait.
Il n’y eut pas trop d’écarts de la part des deux sœurs Catastrophe, et le jardin se retrouva remis à neuf pour le retour des hommes, qui se firent bien réprimander quand ils arrivèrent avec leurs chaussures toute salle.
Dans la joie et la bonne humeur, la française blonde servit de divers plats plus excellents les uns que les autres, ainsi qu’un gâteau qui séduisit tout le monde. Elle eut les félicitations de tous, et une invitation pour recommencer quand elle le voulait de la part de Cécilia. La française s’en montra ravie, et accepta l’offre avec joie. Elle avait obtenu une des choses qu’elle désirait.
Le repas fut ensuite rangé, et Hélène constata avec dépit qu’il y avait beaucoup moins de restes que quand c’était elle qui préparait.
Après s’être repus, tout le monde alla se coucher dans leur chambre respective, pour une bonne nuit de sommeil. Christopher, au lieu de reprendre la route pour son palais, partagea la chambre d’Eleonore, et Merwan fit de même avec celle d’Hélène. Il régnait sur l’auberge une atmosphère agréable et reposante.



- Alessandro, arrête de courir partout ! supplia Elise en courant après le petit garçon qui traversait les couloirs avec, pour seul vêtement, une couche-culotte.
Demetrio, qui attendait son fils au bout du couloir, le cueillit alors qu’il voulait aller vers les escaliers, et le ramena à la mère, qui le prit dans ses bras.
- Tu arrêtes de courir partout quand je te dis de ne plus bouger ! gronda-t-elle.
L’enfant le regarda avec des yeux larmoyants, et Elise se sentit fondre. Ce petit ressemblait tellement à Demetrio et Antonio qu’elle lui céderait n’importe quoi. Mais décidée à ne pas lui éviter la punition, cette fois, elle finit de l’habiller et le mit au coin.
Alessandro avait presque cinq ans, et n’aimait pas le vieux coin poussiéreux de sa chambre dans lequel il était souvent puni. Résolu à ne pas y rester, il échappa à sa mère et sauta sur son lit pour se rouler en boule sous les couvertures. Elise soupira, et entreprit de l’extirper des draps, mais il s’attacha résolument au matelas de manière à ce que sa mère ne puisse pas l’attraper.
- Qu’est-ce que tu fais ? s’étonna une petite fille qui venait d’entrer.
- J’essaie… de sortir… Alessandro de là-dessous ! répondit-elle en haletant sous l’effort que nécessitait son bambin.
- Attends, dit la petite fille. J’ai un moyen !
Elle s’approcha du lit, toucha la bosse formée par les draps, repéra la tête du petit garçon, et se mit à le chatouiller férocement. Au bout de cinq secondes, Alessandro cria grâce et se réfugia dans les bras de sa mère qui, malgré son amusement, le remit au coin.
- Merci, Christelle, dit-elle à la petite fille rousse flamboyante. C’était gentil de ta part.
- De rien, madame Elise. Je suis contente d’avoir pu t’aider !
La fillette de quatre ans sortit, sans doute à la recherche d’autres enfants à traumatiser avec son arme absolue. Alessandro bougonna tout le reste de la matinée, et n’adressa plus la parole à Christelle, même quand celle-ci, tentant de s’excuser, lui offrit son goûter du matin, lui apportant à son endroit de punition.
- T’es plus ma copine, maugréa-t-il.
La fillette sembla très peinée, car elle alla pleurer dans les bras de sa mère, qui, inquiète, lui demanda ce qui n’allait pas.
- C’est… Ale… Alessandro qui… qui est… plus mon copain ! hoqueta-t-elle.
- C’est rien, murmura Hélène pour l’apaiser. Ce n’est rien. Ne t’en fais pas, ça va passer.
Cela n’eut pour effet que de redoubler ses pleurs, et son père, Merwan, dut intervenir en lui faisant un numéro de jonglage avec des bananes. Christelle se prêta au jeu avec passion et rire, et tendit ses petites mains pour essayer de faire pareil. Merwan lui donna son hochet en plastique avec un clin d’œil, mais la fillette le refusa.
- Je suis plus un bébé ! s’exclama-t-elle. J’ai plus besoin du hochet !
Elle se frotta les yeux et bâilla un grand coup.
- Ah, ça, je te l’avais dit ! Hier soir, tu n’as pas voulu dormir, alors, aujourd’hui, tu es fatiguée ! s’exaspéra Hélène.
- C’est pas vrai ! Je suis pas fatiguée ! cria-t-elle.
Elle sauta des genoux de sa mère, et alla rejoindre ses amis qui jouaient dans le jardin, abandonnant Alessandro à son triste sort.
Antonio entra, un énorme bouquet à la main, et fit signe à la gouvernante et à son mari de se taire. A pas de loup, il rejoignit la porte de sa chambre, prit une grande inspiration, et l’ouvrit en présentant le bouquet.
- Tadaaa ! claironna-t-il à l’intention de sa femme qui rafistolait un pantalon de bébé déchiré au genou.
Isobelle fut surprise, puis émerveillée. Elle posa son ouvrage, et prit le bouquet.
- Que me vaut cet honneur ? s’inquiéta-t-elle.
- Mon amour pour la plus belle des femmes, répondit-il en s’emparant de ses lèvres et en fermant la porte.

Naomie arriva dans la soirée avec un charmant jeune américain du nom de Jack Dawson, qui fut accueilli comme un roi à la table montée par Marie Forestier, devenue cuisinière en chef de la ville. Evidemment, un étranger comme lui ne se rendit pas compte de la chance qu’il eut de pouvoir goûter aux plats de cette française sans avoir à débourser un sou. Tout Mannheim, excepté ceux qui vivaient à l’auberge, se serait battu pour obtenir une bouchée de ces plats que l’on disait divins.
Après l’excellent repas, les mamans durent employer tous leurs efforts pour réussir à maintenir leurs bébés respectifs dans leur berceau, et regagnèrent ensuite l’accueil, transformé en un grand salon convivial au fil des années.
Cécilia était décédée de sa grande fatigue, et Constance avait été contrainte de reprendre les commandes, étant donné qu’Aloysia avait catégoriquement refusé du fait qu’elle vivait, à présent, à Venise. Sophie et Josépha avaient, d’un commun accord, décidé que l’organisation lui revenait, car elles s’estimaient incapables de l’assurer. L’avant-dernière des Weber avait bien essayé de les en dissuader, mais elles avaient été inébranlables à tout ses propos. Constance n’avait même pas imaginé les confier à Eleonore, puisqu’elle savait que son mari, le prince Christopher d’Allemagne, ne voudrait jamais que sa femme se retrouve directrice d’un bâtiment, certes chic et demandé, mais qui restait quand même une auberge. Depuis que la mère Weber n’était plus là, l’auberge avait été entièrement redécorée par tous les hommes, qui, avouons-le, avaient été menacés de devoir partir s’ils ne le faisaient pas. Mine de rien, la menace avait fait son effet, puisqu’en un an, tous les travaux avaient été achevés dans l’auberge, et Constance avait pu admirer un travail sérieux et irréprochable.
Parmi les filles Weber, Josépha avait épousé Lorenzo Da Ponte, à qui elle faisait les yeux doux depuis quelques temps, et Sophie commençait sérieusement à se pencher sur la question. Depuis que sa sœur et complice l’abandonnait régulièrement pour rejoindre son homme, elle regardait passer les garçons sans grand intérêt.
Le temps tournait de la pluie au soleil à l’approche du mois de juin, et les enfants, au fil des années, se multipliaient. Quelques-uns allaient déjà à l’école du village, partant le matin main dans la main, sous les regards attendris de leur mère, qui se doutait que, le soir venu, ils seraient de nouveaux des petits monstres.
Les plus âgés des enfants étaient Alessandro, le fils d’Elise et Demetrio, Mélodie et Alice, les jumelles d’Eleonore et Christopher, et Christelle, la fille d’Hélène et Merwan. Tous cinq s’entendaient très bien, malgré les petits conflits qui apparaissaient de temps à autres, surtout entre Alice et Mélodie, qui, en bonnes Weber, étaient les pires chipies de la planète. A leur grand découragement, les gens avaient constaté qu’elles ressemblaient beaucoup à Sophie et Josépha, et ils craignaient pour la suite, plaignant les parents.
Mais ceux-ci vivaient bien avec leurs deux filles. Eleonore en aurait bien souhaité un autre, mais son mari avait décidé d’attendre un peu. Pour lui, il devait y avoir un écart de six ans entre les enfants. La dauphine d’Allemagne avait hâte l’année suivante, que les deux petites fêtent leurs cinq ans. Elle rêvait d’un petit garçon, et il lui semblait que son mari partageait quelque peu cette ambition.
En cette après-midi de juillet, alors que tout le monde vaquait à ses occupations, en l’occurrence, la sieste, Eleonore et Christopher étaient allongés côte à côte dans l’herbe, protégés du timide soleil par un grand platane, doigts enlacés. Le feuillage laissait passer un peu de lumière, éclairant les yeux saphir du futur roi d’Allemagne, le rendant encore plus beau.
- Tu te souviens de notre rencontre ? demanda-t-il, un sourire aux lèvres.
- Tu veux parler de la première fois, devant l’étang, où tu faisais les ricochets ?
Christopher fouilla sa mémoire, mais ne se souvint pas de cet épisode de a vie.
- De quoi tu parles ?
- La première fois que je t’ai vu, tu étais au bord d’un étang et tu faisais des…
- Ah, oui ! se rappela-t-il. Ah, mais c’était toi, la femme qui m’a suivi ?!
- Je ne t’ai pas suivi. Et oui, c’était moi.
Il fit la moue, signe qu’il faisait tout le temps quand il voulait passer à un autre sujet.
- Tu voulais parler de la fête où le théâtre Salieri a brûlé, alors ? demanda-t-elle.
Le prince sourit et ferma les yeux. Il se souvenait, à présent, d’avoir rencontré sa femme à deux reprises avant de tomber amoureux d’elle. Et ces deux fois, il avait tout, sauf assuré.
- Non, je parlais de cette fois, à l’auberge…
- Ah, oui, le jour où tu es arrivé sous le conseil d’Irma !
Il se renfrogna, honteux de s’être fait fasciner par cette vieille folle du village. Sa femme remarqua son air renfrogné, et lui caressa les cheveux en lui rappelant que, sans elle, elle serait sans doute encore en train de lui courir après, et lui à croire qu’elle était une folle sadique et masochiste. Sa remarque arracha un sourire à Christopher, qui l’embrassa pour la faire taire.
- Bon, et qu’est-ce que tu voulais me rappeler, de ce jour où nous nous sommes rencontrés pour la troisième fois, même si tu croyais que c’était la première ?
Il lui pinça les côtes pour se venger de cette remarque mal placée, et, sous l’effet de ses réflexes, elle se plia en deux.
- Ah ! Non ! Fais pas ça, j’en ai horreur ! s’exclama-t-elle en riant.
- Je sais, sourit-il. Mais tu sais que je n’aime pas qu’on me rappelle mes torts passés.
- Oui, je sais, je ne le referais plus.
Elle l’embrassa pour sceller le pacte, et le prince lui raconta ce qu’il avait ressenti la première fois qu’il l’avait rencontrée. D’abord, il n’avait vu en elle que la femme de chambre qu’elle incarnait, les cheveux à moitié attachés, le tablier un peu froissé et le regard affairé. Mais alors qu’il avait du attendre un petit moment à l’accueil, il avait pu la regarder plus attentivement… Cette coiffure, un peu vite fait, ces yeux un peu affolés, d’un marron pétillant, cette posture droite et fière, ces mains agiles et ces mouvements habiles de liberté l’avaient fasciné et séduit.
- C’n’était pas un coup de foudre, dit-il. Mais juste une révélation.
Elle lui expliqua que, pour elle, elle avait tout de suite était attirée par lui les deux premières fois. Il voulut lui refaire le coup de la côte, mais, ayant anticipé son geste, elle se leva, et il l’imita pour la pourchasser. Autour de la fontaine, ils coururent jusqu’à ne plus en avoir de souffle. Enfin, jusqu’à ce qu’Eleonore s’écroule.
- Qu’est-ce que tu as ? s’affola le prince.
Elle ne répondit pas, inconsciente. Affolé, Christopher s’en alla quérir un médecin.



Il s’était avéré que, après voir causé bien du souci pour le docteur qui l’avait auscultée, Eleonore attendait un enfant. Elle avait passé toute sa grossesse dans sa chambre, car ce nouvel enfant l’avait fragilisée.
Huit ans s’étaient à présent écoulés depuis que le théâtre avait brûlé, et les aînés de toute l’armée d’enfants allaient fêter leurs sept ans. Elise comptait, maintenant, trois enfants du nom d’Alessandro, Maria et la petite Anabella, âgée de cinq ans. Hélène quatre, prénommés Christelle, Manon, Tristan et Antoine. Le fils d’Eleonore avait finalement vu le jour en octobre, et avait hérité du prénom Ilian. Isobelle et Antonio avaient eu, deux ans après Demetrio et Elise, une fille, du nom de Blanche, et des jumeaux répondants aux noms d’Athan et Elio un an plus tard.
Toutes les familles étaient ravies, et s’épanouissaient à l’auberge Weber, bien que plusieurs voyages avaient été organisés avec l’argent ramassé tout le long de l’année. Ainsi, ces familles avaient pu aller en Italie, puis en Angleterre, où Naomie avait retrouvé son beau Jack Dawson, parti là-bas pour y trouver du travail. Se retrouvant pour la deuxième fois, Jack et Naomie avaient décidé de ne plus se quitter, et c’est comme ça que l’américain rentra avec eux. Le théâtre étant trop petit pour un couple, la jeune Salieri avait opté pour prendre une chambre à l’auberge, qu’on avait du agrandir trois fois depuis la mort de Cécilia.
Néanmoins tout ne pouvait pas toujours aller bien. Cette année, justement, Mariana avait été invitée par le père Loconte, qui voulait la revoir. De ce fait, l’Italienne avait du casser sa tirelire pour pouvoir y partir, laissant en Allemagne Mikele, qui n’avait pu l’accompagner, faute d’argent.
Marie, la cuisinière, avait bondi sur l’occasion, qui ne lui serait sans doute plus jamais offerte. Elle multiplia les bons plats et les petites attentions pour l’Italien, qui se laissa séduire volontiers. Dans l’auberge, tout le monde les voyait d’un mauvais œil, mais certaines, les amies de Marie, avait compris son besoin d’amour et son attirance pour ce beau jeune homme. Ils lui avaient quand même fortement conseillé de ne pas s’établir trop. Et elle avait juré que non. L’incident était inévitable.
Et il ne tarda pas. Dès le retour de Mariana, l’ambiance fut plus tendue que la corde d’un arc, mais tout le monde se refusait à dire quoi que ce soit. C’est finalement Hélène qui raconta tout, incapable de garder le lourd secret dans lequel tout le monde s’était confiné, surtout que Mariana était une femme à qui elle confiait tout. Elle raconta que, depuis son départ, Marie s’était beaucoup rapprochée de Mikele, et que… Elle n’eut pas besoin d’aller plus loin, l’Italienne avait compris.
- Je savais que je n’aurais pas du partir, gémit-elle avant d’éclater en sanglots.
La française rousse la prit dans ses bras pour la réconforter, ce qui marchait bien mieux qu’avec sa fille aînée.
- Qu’est-ce que tu me conseilles de faire ? demanda-t-elle en séchant ses larmes.
- C’est une très mauvaise idée de me demander à moi.
- Pourquoi ?
Elle hésita, puis répondit :
- J’ai un peu un esprit de vengeance. Si quelqu’un me fait un coup pareil, je vais plus chercher à me venger qu’à…
- C’est parfait. Qu’est-ce que tu proposes ?
La servante s’horrifia et tenta de convaincre l’Italienne que ce n’était pas la meilleure solution, que cela n’avait jamais aidé personne de se venger, mais elle ne l’écoutait plus, son esprit calculant un plan. Hélène lui attrapa le bras, et la força à la regarder dans les yeux.
- Mariana. Ce que je te conseille de faire, c’est d’en parler avec Mikele.
- Qu’est-ce que tu ferais, toi ? Tu laisserais passer ? Si Marie avait choisi Merwan, plutôt que Mikele ?
Hélène se mordit la lèvre. Evidemment, qu’elle aurait réagi. Mais là, c’était différent. Merwan et elle étaient mariés. Mariana n’avait obtenu aucune promesse de fidélité de la part de Mikele. Enfin… Rien d’officiel.
L’Italienne interpréta son silence qui en disait long, et redemanda une proposition de la part de la servante, qui refusa de nouveau. Elle appréciait beaucoup Mariana, mais elle n’était pas prête à s’embarquer dans une guerre de cette ampleur. Elles ne purent continuer leur conversation bien longtemps, puisque Antoine entra en pleurant et se réfugia dans les bras de sa mère, le genou sanglant. Hélène leva les yeux au ciel, et se dirigea vers la petite pharmacie qui se trouvait dans la salle de bain, abandonnant ainsi l’Italienne à sa souffrance.
Durant les mois qui suivirent, il ne se déroula rien d’affligeant sinon que Mariana et Marie ne pouvait plus se trouver dans la même pièce, et Mikele se devait obligatoirement de rester neutre par rapport à la situation. Dès qu’il faisait un écart vers l’une des deux femmes, l’autre lui tombait dessus, toutes griffes dehors. Le trio se trouvait dans une situation maladroite et inconfortable. Puis, les trois plus âgés des enfants fêtèrent leurs neuf ans. L’école de Mannheim était à présent pleine d’enfants de l’auberge Weber, et tout le travail était mis en commun entre les parents, qui apprenaient en même temps que leurs enfants les leçons dont ils étaient censés se souvenir.
Jack s’était fait une nouvelle amie. Christelle, la fille d’Hélène et Merwan, à qui on avait découvert un véritable talent pour le chant, du fait de son jeune âge, avait noué une complicité avec l’américain, qui avait jadis travaillé avec des musiciens. Tous les enfants s’entendaient, malgré tout, à merveille, et remplissait les trois quarts de leur classe à eux tout seul.
Quatre ans plus tard, arriva un évènement qui bouleversa la vie de Wolfgang.
- Bonjour, madame, salua la femme qui venait d’entrer dans l’auberge. Pourrais-je parler à monsieur Mozart ?
- Non, désolée, répondit Hélène qui écrivait sur le bloc-notes. Monsieur est de sortie. Puis-je prendre message pour lui ?
- Non, mais une chambre pour moi, merci, dit-elle en souriant.
Hélène lui tendit une clé, et demanda son nom. La cliente demanda de garder l’anonymat pour quelques temps, au moins jusqu’à l’arrivée de Wolfgang. Déconcertée, la servante accepta, trouvant cette jeune femme étrange.
La nouvelle arrivante monta ses affaires à l’étage, dans sa chambre, où elle s’allongea pour se reposer de son long voyage.
Wolfgang rentra plus tard, avec Garance, et la servante lui annonça qu’il était attendu.
- Ah ? s’étonna-t-il. Mais par qui ?
- Je ne sais pas, elle veut garder l’anonymat.
- Mais elle est belle ?
Garance se racla bruyamment la gorge pour lui rappeler qu’elle était là.
- Je ne dis pas ça pour ça, mais… Je me demande qui ça peut bien être. Elle est dans quelle chambre ?
- Tu ne vas quand même pas aller la rejoindre dans sa chambre ?! s’offusqua l’espagnole.
Wolfgang, inquiet de la réaction de sa compagne, qui n’avait jamais été jalouse, lui assura que non.
- Je vous conseille, monsieur Mozart, d’attendre qu’elle descende d’elle-même.
Le couple approuva sa décision, et rejoignit leur propre chambre.



- Touché, c’est toi le loup ! cria Annabella en attrapant Elio.
Celui-ci fit volte-face, et tenta d’attraper la toute jeune fille qui prit les jambes à son coup avant de monter sur les branches d’un figuier.
- Non, Anna, descends de là tout de suite ! gronda sa mère, Elise, qui était assise de manière à pouvoir les surveiller. Sinon, j’appelle ton père !
La menace eut l’effet escompté, et l’enfant de dix ans descendit de l’arbre en posant prudemment les pieds dans l’herbe. Elio profita de ce petit moment de faiblesse pour l’attraper en hurlant :
- Touchée ! C’est toi le loup !
Mélodie et Alice, assise dans l’herbe, le visage tourné vers le soleil, discutaient à voix basse, tandis qu’Alessandro louchait un peu sur leurs formes naissantes. Blanche, la fille de onze ans d’Antonio et Isobelle, jouait à faire tourner Ilian et Antoine dans les airs, ce qui les faisait rire aux éclats. Plus loin, Christelle et Jack les regardaient, installés à l’ombre du grand platane, parlant sûrement musique. Naomie traînait aussi par là, s’occupant des deux autres enfants de Merwan, Manon et Tristan. Eleonore et Christopher manquaient à l’appel. Isobelle et Antonio buvaient une infusion au soleil, allongés dans l’herbe, non loin de la fontaine. Sur le bord de celle-ci étaient assis Josépha et Lorenzo, dont le mariage datait d’un an, à présent.
Sophie s’entendait très bien avec les filles de Christopher et Eleonore, avec qui elle aimait bien monter des coups montés pour s’amuser, mais jamais méchamment.
La nouvelle cliente, celle qui avait tenu à garder l’anonymat, pénétra dans le jardin, et s’arrêta, surprise d’y voir autant de monde.
- Bienvenue ! claironna Sophie, qui commençait un peu à s’ennuyer. Je suis Sophie Weber.
- Enchantée, répondit la femme.
Tout le monde avait les yeux rivés sur elle, et quelques-uns remarquèrent la forme un peu arrondie de son ventre, caractéristique de la femme enceinte. Elle leur sourit, et chercha des yeux Wolfgang.
Celui-ci la vit de sa fenêtre, et la reconnut instantanément. Animé d’une pulsion d’adrénaline, il planta le linge qu’il était en train de plier, et sortit de la chambre, dévala les escaliers, traversa l’accueil et se précipita dehors où il étreignit la femme.
- Nannerl ! cria-t-il en la serrant contre lui.
- Wolfgang !
La fratrie s’enlaça, au grand désarroi de tout le monde, qui se demandait d’où sortait cette femme un peu louche, puisque personne ne savait qui elle était.
- Qu’est-ce qui t’emmène ici ? se réjouit le musicien.
- Je te rappelle que je n’ai pas grand-chose à faire, en Autriche, alors je suis venue te rejoindre !
Elle lui ébouriffa les cheveux d’un air affectif, puis Wolfgang remarqua le ventre arrondi de sa sœur.
- Que… ?
- Oui, je venais aussi pour ça, dit-elle.
L’air de Wolfgang passa de la joie à l’inquiétude.
- Qui ?
Elle ne répondit que par un pauvre sourire, ce qui l’affola encore plus.

Fin du premier tome…
Merci, si vous êtes parvenus jusque là.

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NaomieFellucci

NaomieFellucci

Vraiment génial!! I love you I love you

Je t'appellerai longuement demain pour tous le ptits commentaires... ;-)
T'en fais pas je vais pas être négative, j'ai juste quelques petites remarques mais ça ferait trop long dans un commentaire!! Surprised

En tous cas, je te déclare officiellement queen de toutes les fictions existants sur MOR!!! Smile

Nelly Salieri ♪

Nelly Salieri ♪
♫ L'Ecrivaine ♫

Je viens de capter un truc. 6 chapitres, c'est très court, non, pour 100 pages ?
Non, j'ai compris le problème. 100 pages, c'est trop court ! Laughing
Non, non, je vais pas en écrire d'autres, c'est bon, merci ! Mad

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Elise

Elise

Aaaahhh!
Je vais te tuer....

*Se parle a elle memeOoOh, tu te calme, Léa...

Tu peux pas finir comme ça...
Il y a giga trop de suspens...

Nelly Salieri ♪

Nelly Salieri ♪
♫ L'Ecrivaine ♫

Tu penses ? Ouais, t'as sans doute raison...
Je fais quoi, alors ?
( Quoique... Ca pourrait les motiver pour me demander la suite ! xD )

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Elise

Elise

Je sais pas...
Tu devrais peut être essayais de finir sur quelque chose de concret au cas où...
Tu peux me dire ce que tu m'avais envoyé pas Mp sur la messagerie de ce fofo'!

flavie mothe

flavie mothe
Claire Méline

quoi ??? finir comme ca ?
sans ma vengence !!!!
pas possible et je veux récupéré mon mikélé !!! lol

Eleonore Weber

Eleonore Weber
~♪ La Mikelienne ♪~

Rahhhhh torture ta pas le droit Very Happy

catytalie



j'aime enroemement le " non merci vous faites très bine la decoration"
Laughing

Nelly Salieri ♪

Nelly Salieri ♪
♫ L'Ecrivaine ♫

Cathy' ~ Je vais passer pour une débile, mais... C'est à quel moment que j'avais marqué ça ? (Je me souviens l'avoir marqué, mais je ne sais plus dans quel contexte ^^')

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catytalie



helene est amnesiiiiiiqueh tongue
au debut du 2eme chapitre quand salieri lui propose de l'aider Very Happy

Nelly Salieri ♪

Nelly Salieri ♪
♫ L'Ecrivaine ♫

catytalie a écrit:helene est amnesiiiiiiqueh tongue
au debut du 2eme chapitre quand salieri lui propose de l'aider Very Happy

Ah, ouiiiiii ! Very Happy (Oui, je suis amnésique, mais ça a un avantage : c'est comme si je lisais un livre inconnu ! xD)

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Elise

Elise

Alors,alors...
Chapitre 6!

- Alors euh… dit-elle. Elise et Josépha, vous montez vous occuper des chambres du deuxième, et Eleonore s’occupera de la salle de bain du haut.
- Ah, non ! protesta sa jeune sœur.
Malheureusement, elle n’eut pas d’autre choix, et le trio monta piteusement l’escalier de bois.
- Euh… poursuivit la Weber. Josépha, Sophie et la damoiselle blonde, là…
- Marie, se présenta celle-ci.
- Oui, voilà. Vous faites celles du premier.
Josépha a doubles taches?
- Alors euh… dit-elle. Elise, vous montez vous occuper des chambres du deuxième, et Eleonore s’occupera de la salle de bain du haut.
- Ah, non ! protesta sa jeune sœur.
Malheureusement, elle n’eut pas d’autre choix, et le trio monta piteusement l’escalier de bois.
- Euh… poursuivit la Weber.Sophie, Josépha et la damoiselle blonde, là…
- Marie, se présenta celle-ci.
- Oui, voilà. Vous faites celles du premier.

Les plus âgés des enfants étaient Alessandro, le fils d’Elise et Demetrio, Mélodie et Alice, les jumelles d’Eleonore et Christopher, et Christelle, la fille d’Hélène et Merwan. Tous cinq s’entendaient très bien,
Je n'en compte que 4...
Les plus âgés des enfants étaient Alessandro, le fils d’Elise et Demetrio, Mélodie et Alice, les jumelles d’Eleonore et Christopher, et Christelle, la fille d’Hélène et Merwan. Tous les quatres s’entendaient très bien,

C'est tout ce que j'ai trouvé!

Nelly Salieri ♪

Nelly Salieri ♪
♫ L'Ecrivaine ♫

Je passe trop pour une andouille, quand je vois ce genre de fautes ! xP
Merci beaucoup; I-am', c'est super, tout super ! Merci BEAUCOUP ! Very Happy

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Elise

Elise

De rien!
C'est normal!
Et puis tu n'es pas une andouille mais des fois c'est que tu oublie des choses ou que tu te perdes dans l'écriture, ça arrive!

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